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Liszt et les Rhapsodies
hongroises
“Il est grand comme le monde” : ce
que Liszt disait de Haendel, comment ne pas le lui appliquer, avec
autant de vérité ? C'est qu'il avait tout pour lui : la beauté
séductrice, une intelligence pénétrante, une virtuosité
conquérante, une culture prodigieuse, un sens aigu de l'art et de
son devenir. Valérie Boissier, l'une de ses élèves, avait vu
juste, qui disait : “la nature le créa dans un accès de
magnificence”. Oui, l'auteur des Rhapsodies hongroises fait
bien partie de ces “phares” si chers à Baudelaire qui illuminent
tout à la fois leur temps et les siècles futurs.
De lui, nous retenons une demi-douzaine d'images.
1/ Le virtuose de l'estrade, à la technique transcendante – un mot
qu'il applique à ses Études sans cesse revues, approfondies,
magnifiées - mais qui se double d’un musicien-poète et novateur
ouvrant les portes qui mènent au XXème siècle ; 2/ L’humaniste,
lecteur boulimique des plus grands textes et des mythes éternels ;
3/ L’impresario-vulgarisateur qui défend l’art vivant et transcrit
plus de deux cents oeuvres de quelque cinquante compositeurs, ses
contemporains, afin d’asseoir, d’élargir leur renommée en un temps
où n’existent ni disques ni radio-télévision ; 4/ L’homme de foi,
qui finit par entrer dans les ordres et réclame pour l’Église une
musique vraiment orante ; 5/ Le Hongrois qui, avec ses continuels
voyages sur le vieux continent, devient Européen avant l’heure ;
6/ Enfin le Rhapsode, admirateur de la musique tzigane et voyant
en elle l’expression directe, sublimée - et sublimante - d’un art
profondément humain, et même universel.
Toute sa vie, Liszt fut fasciné -charmé, au sens antique du terme,
par les Tziganes. Il avait tout juste six ans lorsqu’à Raiding -
où il était né le mardi 22 octobre 1811 - le jeune Franz découvrit
le monde, la musique, les danses étranges de ces êtres à peau
sombre, aux yeux scrutateurs, au sourire énigmatique.
D’où vient et pourquoi cette fascination pour le monde tzigane ?
Elle a évidemment plusieurs causes.
D’abord l’atavisme. Après tout, le père de Franz était lui-même un
excellent instrumentiste, jouant fort bien de la flûte, du violon,
de la guitare et du piano. Au château des Esterhazy dont il est le
comptable et le régisseur, il avait pu rencontrer - entre autres -
Haydn, Cherubini, Hummel. L’ambiance dans laquelle s’épanouit le
jeune Liszt est donc musicale autant que diversifiée : à la
maison, il écoute son père ; au château, il a pu entendre musique
de chambre et orchestrale ; à l’église, les chants religieux
viennent nourrir sa foi naissante mais déjà solide ; dans le
village enfin, il accompagne de maison en maison ces musiciens au
teint brunâtre que sont les “Bohémiens” et dont il subit sans s’en
défendre l’impérieux
magnétisme.
D’où les emprunts, évocations qui émaillent l’ensemble des 19
Rhapsodies hongroises. Dans la forme, déjà, puisqu’elles
reprennent et mettent bout-à-bout les deux volets si
caractéristiques du Lassan (lent) et Friska (rapide) si chers aux
Bohémiens. Dans leur idiome également, en soulignant, voire
“arrangeant” certaines mélodies populaires : “Chant de
Chlopiczky”, “Hanneton, jeune hanneton” dans la Sixième ; “Quand
j’étais célibataire” dans la neuvième ; “Nous étions deux à
l’aller, trois au retour” (!) et “La Forêt est belle lorsqu’elle
est verte” dans la Treizième. Dans leur sonorité enfin. À cet
égard, comment ne pas souligner le début, si chatoyant, si
poétique, de la Onzième qui évoque à s’y méprendre
les timbres irréels du cymbalum ? On le voit, il y a bien osmose
entre la musique populaire
des tziganes hongrois et Franz Liszt. Lequel en sera si fortement
marqué, qu’un jour - nous
rapporte William Mason, son élève en 1853-54, Liszt ayant oublié
la fin de thème lent de la
Sonate à Kreutzer, lui aurait distraitement substitué une cadence
Verbunkos !
À l’étude de leur renommée, on s’apercevait vite que les
Rhapsodies ont connu trois périodes distinctes. D’abord, dans les
années 1848-53, elles furent accueillies avec enthousiasme, dans
l’Europe entière, (Liszt les jouait si bien !) et elles
s’imposèrent vite comme un des pans les mieux connus de son oeuvre
- même si l’on ne portait l’attention que sur certaines d’entre
elles (les Deuxième, Sixième, Onzième, Neuvième (Carnaval de
Pest). Puis vient une réaction brutale, épidermique, qui fit
s’arc-bouter les Hongrois à la lecture du livre consacré aux
“Bohémiens et à leur musique en Hongrie”. Une phrase qui
trahissait la passion du musicien et une insuffisante connaissance
de l’ethno-musicographie (mais comment en eut-il pu être autrement
dans les années 1850 ?) : “La musique hongroise n’appartient pas
aux Hongrois mais aux Tziganes” ! Cette querelle fut pourtant
dépassée et - troisième volet du triptyque - finit par calmer les
esprits au début du XXème siècle. Bela Bartok - notamment - en fut
l’artisan sincère, éclairé, qui, dans ses recherches, montra
l’esprit novateur, anticipateur, et prophétique de Liszt ; qui,
dans son discours de réception à l’Académie Hongroise des Sciences
- en 1936 - osa mettre les points sur les i : “Les Rhapsodies
- et je parle en premier lieu des Rhapsodies hongroises, sont,
en leur genre, des créations parfaites. Il serait impossible de
faire du matériau dont se sert Liszt un usage plus approprié,
plus beau et d’un art plus achevé”.
C’est pourquoi, avec le recul du temps qui seul donne aux choses
leur véritable dimension, les querelles qu’on lui fit apparaissent
finalement vaines et, pour tout dire, hors de propos. À l’époque,
Liszt n’avait évidemment pas les moyens de son ambition : il
faudra attendre quelque soixante-dix ans (et l’électricité !) pour
pouvoir mener à bien, sur le terrain, de véritables campagnes
d’ethnomusicologie. Mais cette vérité du terrain - que son génie
discerne et dont il s’émancipe tout à la fois - lui aura été
finalement bénéfique. Cet homme de contradiction permanente, à
travers ce folklore qu’il croit tzigane mais qui, en fait est
hongrois, retrouve sa propre identité tout en rendant hommage à
ses origines, (même s’il ne
parle pas la langue magyar !). En écrivant ses Rhapsodies, Liszt a
fait un prodigieux travail de synthèse, de re-création musicale,
esthétique et humaine. En cette Europe en pleine ébullition et
qui, à partir de 1848, conquiert sa liberté en proclamant partout
le “principe des nationalités”, il vit, lui aussi, une expérience
exemplaire. C’est que, dans les Tziganes, il s’est reconnu, nomade
comme eux, ne se laissant attacher par quiconque - même s’il
recherche inconsciemment l’enracinement : en s’installant avec
Marie d’Agoult en Italie, en se fixant quelque temps à Weimar, en
entrant dans les ordres en 1865 - l’année même de Tristan... Comme
ce peuple aventureux et fier, préférant l’inconfort à la sécurité,
il se veut libre, tirant lui aussi, et à l’instar des Tziganes, sa
substance et sa subsistance de son moi
intérieur, de sa propre musique. C’est pourquoi les Rhapsodies
hongroises ne se réduisent
pas à la seule partition papier qu’elles dépassent de mille
coudées. Elles doivent impérativement - à peine de se flétrir, de
se scléroser et mourir - vivre, sans cesse et toujours.
Solliciter l’interprète comme son auditeur.
Et c’est bien pourquoi elles séduisent tant, aujourd’hui comme
hier et demain, et les pianistes et le public. Les uns et les
autres y trouvent un engagement farouche, la marque d’un génie
exceptionnel, l’appel de la liberté, de la fraternité et un
immense espoir. Y trouvent ce dont notre monde a le plus besoin et
dont il ne saurait se passer : la Beauté.
Jean Gallois
Premier Prix du Conservatoire
National de Paris en piano et musique de chambre, Denis Pascal est
aussi lauréat des concours internationaux de Lisbonne, Concert
Artist Guild à New-York et des Fondations Cziffra et Menhuin.
Professeur au CNSM de Paris où il est l'assistant de Michel
Béroff, Denis Pascal se produit très régulièrement sur les scènes
françaises et internationales. Recherché par des partenaires
d'exception comme Janos Starker avec lequel il joue souvent, il
aborde avec le même bonheur le Grand Répertoire et la Musique
Nouvelle. C'est ainsi qu'il a enregistré l'intégrale de l'œuvre
pour piano de Joseph Marx, compositeur autrichien post-romantique
ou les "Sonates" de Beethoven avec Alain Marion. Denis Pascal nous
offre ici une des très rares intégrales des "Rhapsodies" de Liszt
avec une fougue et un brio incomparables.
en écoute : Rhapsodie n°
14
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