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Ysaÿe
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Entretien avec Antoine Renon
Pourquoi avoir choisi ces deux Suites de Bach en particulier, la première en sol Majeur et la troisième en do Majeur ? Tout d'abord parce que ce sont de vraies merveilles. A l'image du
cycle entier, elles sont incroyablement bien écrites et reflètent
le style de Bach dans toute sa pureté et sa richesse. Exploitant
ainsi les ressources sonores du violoncelle, lequel détrônait peu
à peu la viole de gambe, il crée une "polyphonie" ou plutôt
l'illusion d'une polyphonie (notamment grâce à la résonance des
cordes à vide) et accroît la dimension proprement mélodique. A cet
égard, le Prélude de la Première Suite est exemplaire car les deux
plans monodiques et polyphoniques sont entremêlés comme si la
partie d'accompagnement faisait intrinsèquement partie du chant.
Casals considérait Ernest Bloch comme "le plus grand compositeur de son temps", pour quelles raisons selon vous ? Je pense qu’il a été sensible à l’extrême expressivité que dégage
cette musique. A la fois imagée et incantatoire, elle exprime des
sentiments profonds, mystiques tout en les incarnant profondément
dans une histoire, une narration. On retrouve cette dimension
épique, dans des œuvres de grande envergure comme Shelomo, œuvre
concertante pour violoncelle et orchestre, mais aussi plus
modestement et intimement dans ces Suites pour violoncelle seul,
sorte de contes où les couleurs harmoniques modales participent à
créer une ambiance chargée de mystères et d’imprévus. Cette
musique lancinante où les motifs thématiques reviennent de manière
cyclique, se caractérise aussi par sa capacité à synthétiser
différents styles. En effet, Bloch s’inspire de musiques
orientales, tsiganes mais aussi de la musique baroque ; ces
influences font partie de l’histoire de sa vie. Se trouvant
d’ailleurs décalé par rapport à sa propre époque, il définit ainsi
son point de vue : j’écris pour la douzaine d’êtres humains
qui comprennent, par delà une musique qui se rit de la mode, les
vérités éternelles que j’ai tâché, humblement, d’exprimer.
Concernant la Sonate d’Ysaÿe, quelles clés d’écoute donneriez-vous ? Ce qui frappe d’emblée, à la première lecture, c’est le caractère très sombre, tragique, de l’œuvre essentiellement dû à la tonalité mineure et amplifié par le registre grave du violoncelle. Sur le plan de la construction, il faut avoir à l’esprit l’utilisation de la quarte descendante (do-sol) qui est énoncée dès le début et qui revient de manière obsessionnelle. Cet intervalle de quarte forme la clé de voûte de toute l’œuvre, se déployant ainsi dans l’ensemble des quatre mouvements et permettant de les relier entre eux : forme cyclique que César Franck utilise dans sa fameuse sonate pour violon (créée par Ysaÿe). Mais là où il se démarque de son maître, c’est dans la dimension harmonique très âpre, tendue et pleine d’audaces : par exemple, la succession de tritons dans l’Adagio. On peut aussi être sensible à l’emploi de techniques d’écriture propres aux instruments à archet, comme les bariolages (notamment dans le Finale). Ce procédé déjà utilisé du temps de Bach, permet de développer une forme de polyphonie en exprimant certains accords sur l’ensemble des quatre cordes de l’instrument. Ici, on perçoit à quel point Ysaÿe est également un instrumentiste hors pair.
Dans votre approche des Suites de Bach, quels interprètes vous ont influencé ? Comment tout d’abord ne pas parler de Pablo Casals, sans qui elles seraient quasiment restées " lettres mortes" ? En effet, Casals les a non seulement remises au goût du jour mais aussi à la place qu’elles méritent, c’est-à-dire celle de chef-d’œuvre, en les immortalisant au disque. Son engagement de tous les instants, accompagné d’une intuition musicale profonde, puissante et émouvante, participe à la construction d’une interprétation éloquente et persuasive que je n’ai jamais cessé d’admirer. Malgré tout, j’écoute encore plus volontiers des pianistes ou violonistes car il est difficile de ne pas copier les violoncellistes. Il faut connaître leurs interprétations mais ensuite s’en détacher pour apprendre à voler de ses propres ailes. Aussi, l’écoute de pianistes tels que Serkin ou Horszowski m’apporte beaucoup car, dans l’œuvre de Bach, ils ont su faire émerger la structure, l’architecture interne tout en mettant en valeur le cantabile, le chant intérieur, toujours présent et perceptible que ce soit dans une danse ou un prélude. Les écouter avec la plus grande attention nous rend humble et nous rappelle que nous devons toujours revenir au texte original, à la source à partir de laquelle nous pourrons, en tant qu’interprète, façonner notre propre vision de ces Suites, sans toutefois oublier l’esprit de la musique de Bach, son génie, difficile à décrire peut-être, mais qui réside entre autres dans sa faculté à cristalliser, à synthétiser plusieurs pratiques stylistiques de son époque : la plasticité mélodique propre à la musique de Vivaldi et le contrepoint germanique élaboré par Schütz ou Telemann.
Enfin, pour quelles raisons avez-vous privilégié l’enregistrement "live" (en concert) ? Il est rare que la présence du public ne produise pas un effet
bénéfique dans la mesure où le musicien ne joue pas seulement pour
tenter de traduire la vision du compositeur à travers sa propre
sensibilité. Il souhaite aussi la partager et faire vivre sa
musique avec l’aide de l’auditoire sans lequel toute musique
serait sinon dénuée de sens, du moins vouée à rester une matière
encore plus abstraite.
Après une formation classique aux Conservatoires de Caen et
Rouen, Antoine Renon se perfectionne à Bordeaux puis à Lyon. Sa
rencontre avec Alain Meunier à l’Accademia Chigiana à Sienne fut
l’occasion d’enrichir sa vision de la musique et d’approfondir ses
connaissances, l’amenant ainsi à comprendre que cet art, aussi
exigeant techniquement qu’il soit, s’épanouit dans le partage,
dans l’échange, essentiel avec d’autres musiciens, mais aussi avec
les auditeurs. Désormais professeur de musique de chambre et de
violoncelle, il parcourt de nombreux champs artistiques et joue
ainsi au sein de différentes formations dont l’Orchestre
Symphonique Ose ! dirigé par Daniel Kawka et l’Orchestre
Symphonique de Mâcon.
Antoine Renon, Cellist After training as a classical musician at Caen and Rouen
Conservatoires, Antoine continued his studies in Bordeaux and
Lyon. At the Accademia Chigiana in Siena, he met Alain Meunier,
who improved his musical understanding and broadened his
knowledge. This helped him to understand that music, however
technically demanding it may be, is about sharing and
communication, which is essential for working with other musicians
as well as performing for an audience.
Why did you choose this programme?
Why did you choose these two Bach cello suites in particular, the first in G major and the third in C major? First of all, because they are real gems. As with all six suites, they show Bach’s style in all its purity and richness. In these incredibly well-written pieces for the cello (the instrument that gradually replaced the viola da gamba) Bach explores the sound possibilities of the instrument by creating polyphonic music, or rather the illusion of polyphonic music. He does this mainly using the resonance of the open strings and therefore increases the melodic aspect of the music. The Prelude of the First Suite is a great example of this, where both the single and multiple melodic lines are combined, making the accompaniment an integral part of the music.
Casals thought that Ernest Bloch was “the greatest composer of his time”. Why do you think this is? I think that Casals was sensitive to the extreme expressiveness in Bloch’s music. Both colourful and magical, it expresses deep, mystical feelings, while bringing them to life to tell a story. You can find this epic aspect of the music in a broad range of works including Schelomo, a concert piece for cello and orchestra. A more modest and intimate example can be found in the Suites for solo cello that are like a set of tales where the harmonic colours help to create an atmosphere full of mystery and wonder.
What tips would you give for understanding Ysaÿe’s Sonata? What hits you the first time you listen to the piece is its very sombre and tragic character, mainly because it is in a minor key, which is emphasised by the low register of the cello. In terms of the piece’s structure, you need to listen for the descending fourth (C to G) which appears at the beginning and returns constantly. You can also hear how Ysaÿe composes in a way that is specific to bowed instruments, such as his use of repeated string crossing (especially in the Finale). This method, that had already been used in Bach’s time, allows you to develop polyphonic music by composing chords that are played across all four of the instrument’s strings. This also shows us how much of an outstanding musician Ysaÿe was.
Which cellists have influenced your approach to the Bach Cello Suites? You can’t talk about the Suites without mentioning Pablo Casals, without whom they would have almost been unknown. Casals not only made them popular again, but also gave them the recognition they deserve, as masterpieces, which he recorded.
Finally, why did you choose to make a live concert recording? Performing in front of an audience rarely has a negative effect –
not only does it allow you to try and communicate the message of
the composer through your own feelings, but it also allows you to
share their music and bring it to life. Without the audience, all
music would be if not meaningless, then destined to remain even
more abstract. Translation : Saul Rigg
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