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Franz Schubert
Sonate n° 23, en si bémol majeur (D 960)
Achevée le 26 septembre 1828, la Sonate en si bémol est la
dernière composition de grande envergure qu'ait écrite Schubert,
qui devait mourir moins de deux mois plus tard. Comme souvent chez
Schubert, l'inoubliable mélodie initiale du Molto Moderato semble
surgir d'un rêve bien avant de nous devenir perceptible. Au-delà
de tout désespoir et de toute misère, elle nous transporte dans
cet univers de sage résignation et de sérénité seconde qui sera
celui de toute l'oeuvre et qui caractérisait également la
production du Mozart des derniers mois. Cette ample mélodie se
voit étayée d'un trille dissonant (sol bémol) grondant
mystérieusement dans les basses, et dont le rôle structural et
cadentiel sera important : c'est lui qui introduit une reprise
féerique en sol bémol majeur du thème, qui s'affirme enfin en
pleine puissance dans le ton principal : premier forte du morceau.
Le second thème, plutôt complément lyrique qu'antithèse, s'expose
de façon surprenante en fa dièse mineur, allusion par enharmonie
au sol bémol précédent. Des modulations magiques mènent au long
apaisement qui, comme plus tard chez Bruckner, signale la fin de
l'exposition, et qui fixe la musique de manière toute classique au
ton de la dominante, fa majeur, dont la tierce est commune avec fa
dièse mineur.
Une brusque modulation en ut dièse mineur - l'effet est prodigieux
- introduit le développement qui travaille les deux thèmes avec
une richesse harmonique incomparable, et qui culmine en un
dramatique fortissimo en ré mineur. Une lente et graduelle
accalmie, d'une atmosphère raréfiée - nous touchons ici au coeur
du mystère romantique - précède la réexposition, enrichie
d'harmonies nouvelles, et suivie d'une grande coda où le thème
initial reparaît encore par trois fois, en des éclairages sans
cesse renouvelés, pour retourner enfin doucement au silence d'où
il avait surgi.
L'Andante Sostenuto en ut dièse mineur est le coeur et l'apogée de
la Sonate, et sa bouleversante beauté défie toute description. La
forme, un da capo varié, est d'une simplicité déroutante. Une
mélodie calme et recueillie, doucement plaintive, s'expose sur un
fond de cloches solennelles étagées sur trois octaves aux basses
en pédales rythmiques obstinées. Son expression s'intensifie
progressivement jusqu'à l'entrée du thème central, en la majeur,
hymne sublime de transfiguration et d'extase mystique, auquel ses
riches sonorités dans le médium grave prêtent des teintes de noble
nocturne, bientôt entouré de la féerie de figurations
scintillantes. Mais c'est la reprise variée du début qui atteint
aux cimes les plus hautes de l'inspiration : la douleur poigne,
plus pressante. plus lancinante, lorsque, soudain, une modulation
imprévue de sol dièse mineur à ut majeur crée un merveilleux
changement d'éclairage, amenant la conclusion spiritualisée,
épurée, dans la lumière céleste d'ut dièse majeur : Beethoven
a-t-il jamais dépassé pareil sommet ? Peut-être dans l'Adagio de
l'Opus 106...
Fraîcheur, raffinement, parfums éthérés nous accueillent à
l'audition du thème angélique et tendre du scherzo, Allegro vivace
con delicatezza, dont le titre dit si bien l'esprit. Ses
appoggiatures délicates, ses allusions fugitives aux tons les plus
lointains, soulignent sa poésie irréelle autant que le contraste
du bref trio en mineur, plus sévère, plus rude, avec ses étranges
périodes irrégulières, dix mesures, et ses accents décalés.
Le finale Allegro ma non troppo combine rondo et forme sonate. Le
thème, quelque peu badin et même espiègle, démarre en ut mineur
avant de regagner le ton principal, procédé familier à Schubert,
encore que le modèle le plus proche, à tous points de vue, rythme
et tonalité compris, soit le finale du Quatuor op.30 de Beethoven.
Une seconde mélodie, large, hymnique, en noires liées, nous porte
en sol majeur et retrouve passagèrement le climat du premier
mouvement. Mais, soudain, deux accords violents affirment fa
mineur et introduisent un troisième élément, aux rythmes fortement
pointés. Le refrain est alors repris, toujours annoncé par son sol
initial, et développé au cours d'un épisode vigoureux, aux
modulations météoriques d'une folle audace. Comme dans le premier
morceau. c'est une longue accalmie graduelle qui prépare la
reprise, relativement régulière. Après un dernier épisode qui
s'attarde à plaisir dans la joie de moduler, une brève strette,
Presto, brillante et allègre, de couleur fort beethovénienne avec
les grondements de ses batteries d'octaves - aux basses, termine
la Sonate.
Arnold Schoenberg
Six Petites Pièces pour piano (op.19)
Écrites de février à juin 1911 ces "miniatures" forment contraste
avec l'Opus 11 non seulement par leur durée - l'ensemble ne
dépasse pas cinq minutes -, mais par leur style aphoristique :
elles se situent ainsi dans le prolongement des Trois Petites
Pièces pour orchestre de chambre (de 1910), - concentrant les
événements musicaux dans un minimum de temps avec un minimum de
moyens. On y constate une réaction contre l'hypertrophie de la
"grande forme" - instrumentale ou de format symphonique - telle
que la pratiqua Schoenberg lui-même dans nombre de ses oeuvres. On
notera que la dernière pièce fut écrite peu de temps après les
obsèques à Vienne, en mai 1911, de Gustav Mahler, - à la mémoire
duquel Schöenberg dédiera son Traité d'harmonie publié dés le mois
de juillet suivant. Les Six Petites Pièces sont intitulées Leicht,
zart (léger, délicat) ; Langsam (lent) ; Sehr langsam (très lent)
; Rasch, aber leicht (rapide, mais léger) ; Etwas rasch (assez
rapide) ; Sehr langsam (très lent). La plus longue - la première -
comporte dix-huit mesures ; les plus courtes - les deuxième et
troisième - seulement neuf chacune. On a souvent fait le
rapprochement avec Webern : ce qui ne va pas sans malentendu.
Alors qu'on peut tenir la forme épigrammatique comme
consubstantielle au génie webernien, elle ne représente chez
Schoenberg qu'une exception, un condensé de l'expression, ample et
fortement émotionnelle, vers laquelle il était naturellement
porté. Ces pièces sont donc peu "weberniennes" en elles-mêmes,
mais une quintessence d'éléments stylistiques antérieurs - de
l'Opus11 par exemple -, isolés dans leur formulation la plus
concise et, pour l'auditeur, la plus attrayante. C'est une logique
toute intuitive qui paraît gouverner la pièce initiale, d'une fine
texture harmonique, - tandis qu'un ostinato de tierce (sol-si),
dans une mesure à quatre temps décomposés, engendre les
configurations mélodiques de la seconde. D'un lyrisme plus
évident, la pièce suivante expose les accords de la main droite
sur un chant en octaves à la basse ("à jouer de bout en bout pp").
On remarquera surtout dans la quatrième pièce, un récitatif de
treize mesures, intensément dramatique, qui prend place en
conclusion ; à quoi s'oppose le fluide legato de la cinquième
pièce portant la mention "zart aber voll " (délicat mais plein) ;
tout concept de tonalité y paraît définitivement aboli. Mais sans
doute la plus belle, la plus émouvante, est-elle la pièce finale,
- qui fait résonner un glas funèbre expirant en un double accord
de six notes (du grave à l'aigu sol, ut, fa, la, fa dièse et si),
"wie ein Hauch" (comme un souffle).
Textes extraits du Guide de la musique de
piano et de clavecin de François-René Tranchefort.
Avec l'aimable autorisation des Éditions Fayard.
© Éditions Fayard
Jean Angliviel a terminé sa formation de pianiste aux États Unis
où il a obtenu un "Master of Music in Piano Performance" au New
England Conservatory of Boston, dans la classe de Gabriel Chodos.
Il est régulièrement invité à se produire en France, aux États
Unis au Brésil et en Europe, en solo ou musique de chambre (avec
cordes ou vents) et aime particulièrement accompagner des
chanteurs dans des récitals de mélodies. Son répertoire va de Bach
aux contemporains, avec une affinité particulière pour la musique
de Schubert et de Debussy.
Jean Angliviel a été pendant de nombreuses années pianiste de
l’ensemble de musique contemporaine "Futurs Musiques" ; il
enseigne l’harmonie au piano à l’université Paris VIII. "Il m’a
semblé intéressant de rapprocher ces deux oeuvres qui peuvent
évoquer le commencement et la fin du romantisme.
A priori tout oppose la D 960 de Schubert et l’op. 19 de
Schoenberg. La sonate de Schubert, classique dans la forme, se
déploie dans la durée. C’est un voyage au plus profond de
l’intime, la signature du romantisme. Les klavierstucke de
Schoenberg, des miniatures où l’expression est aussi concentrée
que brève. Même dissonantes et atonales, ces pièces, par leur
lyrisme et leur phrasé, nous ramènent au XIXème siècle. On peut
entendre cet opus soit comme le début d’un monde soit comme la fin
d’une époque."
jmangliviel@free.fr
Completed on September 26 1828, the B-flat sonata is Schubert’s
last great composition – and without a doubt the most well-known
and played of his sonatas. The first long movement is imbued with
a certain tranquillity, a certain contemplation even, although
some patterns lend it a somewhat mysterious aspect. The slow
movement being one of the least used by Schubert, the emotion is
completely overwhelming here making it one of the most dramatic
pages in piano literature. The modulations are extraordinary,
imbued with magic, in particular towards the end of the movement.
The tone changes in the final two movements, showing once again
Schubert’s skill at vacillating between major and minor. They
admirably conclude Schubert’s production of sonatas in its
ensemble on a positive note.
Six Little Piano Pieces (op. 19) by Arnold Schoenberg
These six little pieces – each of which is between 9 and 18 bars –
represent a digest of musical thought by Schoenberg who was known
for his long compositions. Written between February and June of
1911 these miniatures drew attention to themselves because of the
limited pianistic means used in each of them. 1- Leicht, zart
(Light, tender); 2- Langsam (Slow); 3- Sehr langsam (Very slow; 4-
Rasch, aber leicht (Fast, but light); 5- Etwas rasch (Quite fast);
6- Sehr langsam (Very slow).
Jean Angliviel completed his pianist training in the United
States, graduating with a Master of Music in Piano Performance
from the New England Conservatory of Boston, in the class of
Gabriel Chodos. He is regularly invited to perform solo or as part
of a chamber ensemble (strings or wind) in France, US, Brazil and
Europe. He especially enjoys accompanying singers in melody
recitals. His repertoire spans from Bach to contemporary artists,
with a particular affinity Schubert and Debussy. Jean Angliviel
was a pianist for a number of years with the ensemble of
contemporary music “Futurs Musiques” and teaches harmony at the
piano at Université de Paris VIII.
"I thought it interesting to bring these two pieces together, as
they can conjure up the beginning and the end of romanticism.
Schubert’s D 960 and Schoenberg’s op 19 are almost polar
opposites. Schubert’s sonata, with its classical form, is
drawn-out. It is a journey to the deepest intimacy, the signature
of romanticism. Schoenberg’s piano pieces, miniatures in which the
expression is as concentrated as it is short. Although dissonant
and atonal, the lyricism and phrasing of these pieces transport us
back to the 19th century. This opus can be listened to, either as
the beginning of a world or as the end of an epoque."
jmangliviel@free.fr
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