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En 1999, Enguerrand-Friedrich LÜHL-DOLGORUKIY, compositeur, chef
d’orchestre et pianiste, reçoit, au terme de plusieurs entretiens
passionnés avec Alain Monferrand, la commande de quatre œuvres
originales en hommage à Vauban:
- Un Requiem pour choeur, soliste et orchestre symphonique. Cette
œuvre sera créée en 2007 au sein de la Cour Carrée des Invalides à
Paris. Il en existe également une version pour chœur, soliste et
orgue ;
- La Chamade, un poème symphonique inspiré de l’ouvrage
stratégique de Vauban Traité d’attaque des places (1704), écrit
peu de temps avant sa mort à la demande de Louis XIV. Cette œuvre
récrit les douze phases successives d’une prise de citadelle,
allant de l’investissement initial à la reddition de l’assiégé. La
Chamade fut créée en décembre 2003 en la Cathédrale Saint-Louis
des Invalides par l’orchestre de la Garde Républicaine et le chœur
Arioso. C’est la première œuvre de l’histoire de la musique qui
puise ses sources dans un traité militaire ;
- Un quatuor à cordes, dit Quatuor Vauban, qui dépeint les
différentes facettes de la personnalité privée du Maréchal. Le
quatuor fut créé en mai 2004 à Gravelines, ville fortifiée par
Vauban, lors du Congrès Vauban. Il en existe également une version
pour orchestre de chambre : la Symphonie de Chambre ;
- Une Suite Royale pour violon, alto ou violoncelle seul, qui
reprend les principaux thèmes développés dans les pièces
précédentes.
Vauban, ingénieur et conseiller du Roy, n’a cessé, tout au long
de sa vie de s’engager personnellement pour réduire les pertes de
vies humaines au cours des guerres. L’idée de lui rendre hommage
par une œuvre religieuse davantage que par une fanfare de couleur
militaire, souligne le caractère humaniste du personnage et sa
fidélité envers son Dieu, son Roy, ses engagements et convictions.
Une œuvre commémorative de cette envergure requiert un langage
musical particulier, qui s’impose autour d’une musique tonale,
facilement accessible au grand public. Le style de Lühl réunit la
recherche constante d’une maîtrise de l’écriture, et celle de
l’émotion pure, que ses progressions et structures romantiques
suscitent chez l’auditeur. Ainsi, de manière à initier plus
facilement l’auditeur, Lühl a tissé, dans l’esprit du Leitmotif
chez Wagner ou encore de Pierre et le loup de Prokofiev, une
palette de thèmes distincts, que l’on retrouve dans toutes ses
compositions consacrées à Vauban : le thème de Vauban, celui de
Louvois, la fanfare royale de Louis XIV, les motifs annexes des
villes assiégées et de leurs gouverneurs… Tous se retrouvent sous
forme d’un canevas cohérent, soutenant l’ensemble de la
composition.
Symphonie de chambre n° 1 Vauban LWV 86
La Symphonie de chambre en hommage à Vauban est née de l’idée de
proposer, entre une œuvre religieuse (le Requiem) et une œuvre
profane à caractère militaire (la Chamade), une œuvre plus
attachée à la personne de Vauban, plus intime. Ce sont donc des
lettres personnelles du Maréchal qui ont inspiré le compositeur
dans l’écriture des quatre mouvements composant cette œuvre pour
quatuor à cordes (se reporter pages 9 à 15).
Le Quatuor Vauban constitue ainsi un véritable portrait musical du
protégé de Louis XIV et de Louvois: Vauban le Politique, Vauban
l’économe, Vauban le père de famille, Vauban le Séducteur. Les
quatre mouvements de cette pièce sont en effet entrecoupés par la
lecture de lettres écrites par le Maréchal, qui nous font
découvrir de façon originale une personnalité hors du commun et
attachante. Chaque lettre est ensuite évoquée par les musiciens à
travers un mouvement distinct :
Le premier mouvement plonge d’abord l’auditeur dans une atmosphère
parfaitement statique. Soudain, le caractère énergique de Vauban
fait son apparition. La musique est scandée, mouvementée, directe
et enflammée. Les voix se mêlent aux différents timbres et
instruments, donnant l’impression d’un fourmillement continu. A la
reprise, l’alto fait entendre le thème de Vauban en entier, sous
le tourbillon des autres instruments. Le rythme effréné ne
s’achève qu’à la dernière mesure de ce mouvement, aboutissement
d’une immense progression.
D’un contraste extrême par rapport au mouvement précédent, le
second mouvement, d’un lyrisme épique, rappelle un grand adagio de
symphonie, riche dans son enchaînement harmonique, large dans ses
progressions mélodiques.
Le Scherzo, dynamique et enjoué, du troisième mouvement, surprend
l’auditeur par l’obstination de son rythme de tarentelle régulier
et frénétiquement droit et solide. La partie centrale, à nouveau
lente, rappelle quelques passages du Requiem. La pièce s’achève
sur une coda agitée et enlevée.
La fugue, symbole de l’architecture musicale, gouverne le
quatrième et dernier mouvement, plus court que les autres, mais de
loin le plus complexe par la concision de son langage. Vauban
aime, Vauban vénère, Vauban respire jusqu’à son dernier souffle la
joie de vivre. La discipline, la structure et l’amour sont des
mots-clefs de ce final.
La symphonie de chambre, constitue un arrangement par le
compositeur de la composition originale du quatuor. Elle nécessite
une nomenclature intermédiaire (une vingtaine d’instruments à
cordes) entre l’orchestre symphonique et le quatuor à cordes. Elle
peut, par exemple, être facilement programmée avec le Requiem ou
la Chamade, en première partie ou encore être insérée dans un
programme post-baroque nécessitant une telle formation. Elle fut
composée entre mars et avril 2004.
Symphonie de chambre n° 6 Madame Elisabeth LWV 127
Avec le premier quatuor à cordes, Lühl entama une série de sept
quatuors, se réunissant musicalement dans un grand ensemble
thématique. Le sixième, datant de juillet à novembre 2008,
illustre la vie de ”Madame Elisabeth”. Peu après, il en fait,
conformément à son intention initiale, une symphonie de chambre,
rajoutant quelques voix afin d’étoffer l’œuvre pour la nouvelle
formation. Élisabeth Philippine Marie Hélène de France, dite
Madame Élisabeth, née à Versailles, le 3 mai 1764, était la sœur
des rois Louis XVI de France, Louis XVIII de France et Charles X
de France. Sous la Terreur, elle dut comparaître devant le
Tribunal révolutionnaire et fut condamnée à mort.
Elle se passionna pour l’art, en particulier le dessin pour lequel
elle montra de réelles dispositions. Le musée de Versailles
conserve quelques unes de ses œuvres. Malgré les apparences,
c’était une femme de caractère, mature et réfléchie, qui tenait
parfois tête à son frère ou à sa belle-sœur Marie-Antoinette.
Leurs affrontements portaient sur des choix de stratégie
politique.
Ce sont ces aspects du caractère de la sœur du Roy que Lühl
utilisa pour composer son quatuor, dépeignant sa vie en quatre
mouvements. Le deuxième mouvement mérite une attention
particulière : sur le manuscrit, Lühl rédige les lignes : Frei
nach Marie-Antoinette [1755-1793] – Arietta – in G Dur (librement
d’après Marie-Antoinette, Ariette en sol Majeur). L’épouse
autrichienne du Roy était, comme toute femme de cour recevant une
éducation étendue dans les arts de la culture, également
compositrice et a laissé quelques pièces pour chant et piano. Lühl
reprit une de ses mélodies et en fit sept variations, ne voulant
volontairement pas dépasser le nombre de quatuors à composer pour
son cycle. C’est la seule pièce avec cette structure dans son
cycle.
Bien que débuté en juillet 2008 et terminé en novembre de la même
année, le dernier mouvement est issu d’un autre projet antérieur.
Parallèlement à la composition de son quatuor, il orchestre le
dernier mouvement et l’intitule Anna Karénine, poème symphonique
d’après le roman de Tolstoï. Plongé avec passion dans les lectures
de l’auteur russe, il décrit la vie de l’héroïne dans la même
pièce et la découpe chronologiquement en quatre parties :
- Du journal d’Anna (Aus Annas Tagebuch); premier thème
- Aventures avec le comte Vronsky (Erlebnisse mit Graf Wronskiy) ;
deuxième thème
- L’âme souffrante d’Anna (Annas seelischer Leidensweg) ;
développement
- La délivrance d’Anna (Annas Erlösung) ; Coda.
La pièce fut ensuite adaptée pour quatuor à cordes et enfin pour
sa version symphonie de chambre. Ainsi, Anna Karenine devint le
dernier mouvement du quatuor Madame Elisabeth ; deux femmes sans
aucune connexion historique, certes, mais toutes deux de forts
caractères, décédées tragiquement et prématurément.
In 1999, Enguerrand-Friedrich LÜHL-DOLGORUKIY, composer, pianist
and conductor received a state commission to write four original
pieces dedicated to Vauban :
A Requiem for choir, soloist an symphony orchestra. This work was
performed in several citadel cathedrals of France as well as in
Paris/dome of the Invalides. There also exists a version for
choir, soloist and organ;
La Chamade, a symphonic poem inspired by the strategic work of
Vauban ; Traité d’attaque des places (1704) written shortly before
his death at the demand of Louis XIV. This work describes the
twelve successive phases of the capture of a citadel, starting at
the initial takeover to the surrender of the besieged place. The
Chamade was first performed in 2003 in the St-Louis Cathedral of
The Invalides by the Orchestre de la Garde Républicaine. It was
the first work of the history of music which takes its inspiration
from a military treaty;
A String quartet, called Vauban Quartet which describes different
aspects of the Marshall’s private life. It was performed in May
2004 in Gravelines, a fortified town on the French cost near the
Belgian border. There also is a version for Chamber orchestra, the
Chamber Symphony;
A Royal Suite for violin, viola or cello solo which takes up the
main themes developed in the previous pieces.
Vauban, engineer and adviser to the “Sun” King Louis XIV never
ceased during his lifetime to pursue ways of reducing civilian
casualties during periods of war. The idea of paying tribute to
him with a religious work more than a military fanfare underlines
the humane character of the personality and his loyalty to his God
and King and his commitments and personal convictions.
Lühl’s style unites the constant research of the mastery of
musical techniques and that of pure emotion through which his
romantic structures appeal to the audience.
The unity of composition of the different pieces also presents an
important aspect to the listener, for whom the name of Vauban
doesn’t necessarily evoke the personality linked to a particular
career. Also the manner in which the listener is initiated, Lühl
has weaved a series of leitmotifs (like in Wagner and also in
Prokofieff’s Peter and the Wolf) found in all his compositions
consecrated to Vauban: Vauban’s and Louvois’s (the defence
minister to the King) themes and the Royal Fanfare of Louis XIV,
the motives of besieged towns and their governors… All found in
the form of a coherent overview, which supports the whole work.
Chamber Symphony n° 1 Vauban LWV 86
The Vauban chamber symphony originated from the idea of creating
a work which was like a religious work (the Requiem) and a more
profane work of military content (la Chamade), it is a work more
concerned with the personality of Vauban and much more intimate.
So, based on personal letters belonging to the Marshall, the
composer was inspired to write a quartet for strings in four
movements.
The Vauban Quartet is a true musical portrait of Louis XIVth and
Louvois’s protégé: Vauban the architect, politician, economist,
family man and lover.
The four movements of this piece are linked together by the
reading of letters written by the Marshall himself which allows
the listener to discover the originality of this unusual man’s
personality. Every letter is lovingly painted by the musician
through the four distinctive movements:
The first movement plunges the listener into a perfectly static
atmosphere. Suddenly, the energetic character of Vauban erupts
into our presence. The music is rhythmic, agitated, direct and
alive. The
melodic lines are mixed with the sounds of the different
instruments, giving the impression of continuous agitation. When
the refrain is repeated the viola is heard playing the Vauban
theme entirely under the crescendo of the other instruments. The
wild rhythm does not end until the last bar of music, finishing in
an immense progression.
In total contrast with the previous movement, the second movement
of epic lyricism recalls a great Adagio from a romantic symphony,
rich in harmonic movements, powerful in its melodic progression.
The Scherzo, dynamic and playful in the third movement surprises
the listener by the obstination of its tarantella-rhythm which is
both lively and steady. The central part, once again slow, reminds
one of some passages from the Requiem. The piece finishes with an
agitated coda.
The fugue, a symbol of musical architecture governs the fourth and
last movement, shorter than the others but not less complex by the
precision of its language. Vauban loves, Vauban worships, Vauban
breaths until his last breath the joy of living. The discipline,
the structure and love are the keywords of this finale.
The Vauban quartet surprises the listener as and from the first
notes by the richness of the themes and the quality of its sound
effects. As in the other works composed by Lühl, we discover here
the leitmotivs particular to Vauban’s entourage : the Marshall,
Louvois and Louis XIVth. These motives are superimposed on the
original theme at every movement.
The chamber symphony involves an arrangement by the composer of
the original quartet’s composition. It requires an intermediary
instrumentation (about twenty string instruments), between the
symphonic orchestra and the string quartet. It can for example, be
easily programmed with the Chamade at the beginning or even
inserted in a post-baroque programme necessitating such
instrumentation. It was composed between March and April 2004.
Chamber Symphony n° 6 Madame Elisabeth LWV 127
With the first string quartet Lühl commenced a series of seven
pieces, a musical ensemble in a gigantic thematic work. The sixth
quartet in the catalogue, number 124, dating from July to November
2008, illustrates the life of Madame Elisabeth. Shortly
afterwards, he wrote a chamber symphony which had been his initial
intention, adding some voices in order to fill out the work with
new instrumentation.
Élisabeth Philippine Marie Hélène de France, called Madame
Élisabeth, born in Versailles in May 1764, was the sister of the
Kings of France – Louis XVI., Louis XVIII and Charles X. Under the
French Reign of Terror, the Revolutionary Tribunal condemned her
to death.
Orphaned at three years of age, Elisabeth received an excellent
education, more in depth than that of her future sister-in-law
Marie-Antoinette who was nine years her senior. She was passionate
about art, especially drawing. The Château de Versailles museum
still has some of her works.
Despite appearances she was a woman of strong character, mature
and thoughtful, who stood up to her brother and her sister-in-law
Marie-Antoinette. Their confrontations were about the choice of
political strategy.
These are the aspects of the King’s sister’s character that Lühl
used to compose his quartet, painting her life in four movements.
The second movement deserves particular attention. On the
manuscript, Lühl writes the following in German: “freely adapted
after Marie-Antoinette [1755-1793] – Arietta in G Major”. The
Austrian spouse, like every woman at the court, received an
extended education in arts and culture, as a composer she left
some pieces for voice and piano. Lühl took one of her melodies and
created seven variations, to coincide with his cycle of seven
quartets. It is the only piece with this structure in his cycle.
Although begun in July 2008 and finished in November of the same
year the last movement is the result of a previous project.
Parallel to composing his quartet he orchestrated the last
movement from January 17th to 22d and entitled it Anna Karenina, a
symphonic poem taken from Tolstoy’s novel. Passionate about
Russian authors he described the life of the heroine in the same
book and put it into four chronological parts :
- Anna’s diary : first theme
- Adventures with Count Vronsky : second theme
- Anna’s suffering : musical development
- Anna’s deliverance : Coda.
This piece was later on adapted for string quartet and then for
chamber symphonic instrumentation; eventually, Anna Karenina
became the fourth movement of the Madame Elisabeth quartet. Two
disconnected characters, but in the end both were headstrong
women, whose lives ended prematurely.
Symphonie de Chambre n° 1 Vauban LWV 86 - 1er Mouvement
VAUBAN A LOUVOIS – DE BELLE – ISLE
17 septembre 1685
[…] Il y a quelques queues d’ouvrages des années dernières qui ne
me sont point finies et qui ne finiront point si les entrepreneurs
en sont crus ; et tout cela, Monseigneur, par la confusion que
causent les fréquents rabais qui se font dans vos ouvrages, car il
est certain que toutes ces ruptures de marchés, manquement de
paroles et renouvellement d’adjudications ne servent qu’à vous
attirer tous les misérables qui ne savent où donner de la tête,
les fripons et les ignorants, pour entrepreneurs, et à faire fuir
tous ceux qui ont de quoi et qui sont capables de conduire une
entreprise. Je dis de plus qu’elles retardent et renchérissent
considérablement les ouvrages qui n’en sont que plus mauvais, car
ces rabais et bons marchés tant recherchés sont imaginaires,
d’autant qu’il est d’un entrepreneur qui perd comme d’un homme qui
se noie, qui se prend à tout ce qui peut ; or, se prendre à tout
ce qu’on peut en matière d’entrepreneur, est ne pas payer les
marchands chez qui il prend les matériaux, mal payer les ouvriers
qu’il emploie, friponner ceux qu’il peut, n’avoir que les plus
mauvais parce qu’il se donne un meilleur marché que les autres,
n’employer que les plus méchants matériaux qu’il peut, tirer
toujours le cul en arrière sur tout ce à quoi il est obligé,
tromper sur les façons, chicaner sur toutes choses et toujours
crier miséricorde contre celui ci et celui la, notamment contre
tous ceux qui le veulent obliger a faire son devoir.
Il arrive de plus que, les entrepreneurs tombant dans le désordre
de leurs affaires avant que leurs ouvrages soient à moitié faits,
on est obligé, pour la sûreté des deniers du Roy, de les
économiser ; or, économiser sur ce pays et les faire faire a
journées est la même chose, car il ne s’y trouve point de
sous-entrepreneurs assez hardis pour travailler a la toise ;
cependant c’est la pire de toutes les manières de travailler,
supposé même que tout s’y fît avec toute la fidélité et
l’attachement possibles ; car qui nous prouvera que l’habileté de
ceux qui font ces sortes d’économies soient plus grandes que
celles des entrepreneurs ? Où l’ont-ils appris et quelle
expérience ont-ils ? Je dis plus : qui nous assurera qu’ils se
porteront avec autant de soin, eux qui n’en craignent pas la perte
ni n’en espèrent le profit ? Il faut du moins avouer que les
motifs qui font le sujet de leur application sont bien au dessus
de ceux des entrepreneurs qui sont toujours puissamment excités
par l’espoir du gain et par la crainte de la perte.
Rien n’est plus contraire à la bonne foi que les rabais reçus six
mois après une adjudication faite dans toutes les formes,
c’est-à-dire après cautions reçues et les ouvrages commencés ;
rien ne les décrédite plus que ces façons d’agir directement
opposées à la justice et a l’équité ; rien ne les retarde tant que
ces renouvellements pernicieux par des discussions que les
entrepreneurs qui entrent ont avec ceux qui sortent, qui
remplissent tant de chicanes et de contentions sur le fait des
toisés, des outils et des matériaux ; et rien n’est moins sûr, la
plupart du temps, que les cautions que ces gens donnent, vu que,
par la perquisition qu’on fait de leur bien, ils trouvent moyen
d’en faire paraître le double de ce qui se trouve en effet quand
le Roi est obligé d’avoir son recours contre eux. En amont, tous
les rabais reçus sur les ouvrages de Brest et de Belle-Isle n’en
ont fait baisser le prix qu’en apparence ; car, en effet, ils les
ont si bien renchéris que la forme de Brest coûtera dix mille écus
plus qu’elle ne devrait avoir coûté ; la toise cube du revêtement
de la ville, beaucoup plus que son marché ne porte aussi bien que
celui des batteries de Léon et de Cornouaille ; quand à ceux de
Belle-Isle, il ne faut que voir l’apostillé autorisé de leurs
entrepreneurs pour être convaincu de cette vérité. C’est encore un
très mauvais ménage que de traiter des ouvrages à l’année, parce
que tout entrepreneur qui fait de tels marchés doit compter, s’il
a le sens commun, de regagner tout son équipage et ses peines sur
la même année, au lieu que, s’il traitait pour tout un ouvrage qui
dût durer deux ou trois ans, il ferait son compte sur sa durée,
et, de cette façon, il arriverait que tels ouvrages qui coûtent 30
livres n’en coûteraient pas 27.
En voilà assez, Monseigneur, pour vous faire voir l’imperfection
de cette conduite ; quittez-la donc, et au nom de Dieu rétablissez
la bonne foi ; donnez le prix des ouvrages et ne plaignez pas un
honnête salaire à entrepreneur qui s’acquittera de son devoir ; ce
sera toujours le meilleur marché que vous puissiez trouver. Ne
faites plus les marchés à l’année, mais pour tels et tels
ouvrages, et en un mot soyez fidèle dans l’exécution de votre part
comme vous prétendez que l’entrepreneur le soit dans la sienne.
Mais surtout n’acceptez point d’entrepreneur qui ne soit solvable
et intelligent ; c’est l’unique moyen d’être bien servi. En user
autrement, vous ne verrez jamais la fin des ouvrages qui vous
coûteront le tiers ou le quart plus qu’ils ne vaudront, vous
donneront mille chagrins à vous et à ceux qui s’en mêleront et
vous et eux n’en serez pas moins la dupe […]
Vauban
Symphonie de Chambre n° 1 Vauban LWV 86 - 2ème Mouvement
MEMOIRE SUR LE RAPPEL DES HUGUENOTS
Le mémoire de 1689
« Ce projet a causé et peut encor causer une infinité de mots
très dommageables à l’Etat. »
« Les dommages qu’il a causés sont :
1° La désertion de quatre-vingts ou cent mille personnes, de
toutes conditions, sorties hors du royaume, qui ont emporté avec
elles plus de trente millions de livres d’argent le plus comptant
;
2° [appauvri] nos arts et manufactures particulières, la plupart
inconnus aux étrangers, qui attiroient en France un argent très
considérable de toutes les contrées de l’Europe ;
3° Causé la ruine de la plus considérable partie du commerce ;
4° Grossi les flottes ennemies de huit à neuf mille matelots, des
meilleurs du royaume ;
5° [grossi] leur armées, de cinq à six cents officiers et de dix à
douze mille soldats, beaucoup plus aguerris que les leurs, comme
ils ne l’ont que trop fait voir dans les occasions qui se sont
présentées de s’employer contre nous.
A l’égard des restés dans le royaume, on ne sçauroit dire s’il y
en a un seul de véritablement converti, puisque très souvent ceux
que l’on a cru l’être le mieux ont déserté et s’en sont allés […]
… Les Roys sont bien maîtres des vies et des biens de leurs
sujets, mais jamais de leurs opinions, parce que leur sentiment
intérieurs sont hors de leur puissance, et Dieu seul les peut
diriger comme il lui plaist.
Tout cela n’est que le mal qui a réussi jusqu’à présent des
conversions forcées mais celui qu’il y a lieu d’en craindre
ci-après me paroit bien plus considérable, puisqu’il est évident :
1° Que, plus on les pressera sur la Religion, plus ils
s’obstineront à ne vouloir rien faire de tout ce qu’on désira
d’eux à cet égard : auquel cas, voilà des gens qu’il faudra
exterminer comme des rebelles et des relaps, ou garder comme des
fous et des furieux ;
2° Que, continuant de leur tenir rigueur, il en sortira tous les
jours du royaume, qui seront autant de sujets perdu et d’ennemis
ajoutés à ceux que le royaume a déjà ;
3° Que, d’envoyer aux galères ou faire supplicier des délinquants,
de quelque façon que ce puisse être, ne servira qu’à grossir leur
martyrologe, ce qui est d’autant plus à craindre que le sang des
martyrs, de toutes religions, a toujours été très fécond et un
moyen infaillible pour augmenter celles qui ont été persécutées.
On doit se souvenir sur cela du massacre de la Saint-Bartélémy, en
1572, où, fort peu de temps après l’exécution, il se retrouva cent
dix mil Huguenots de plus qu’il n’y avoient auparavant. Le grand
Constantin, persuadé des vérités de la religion chrétienne,
souhaitait que tous ses sujets fussent chrétiens ; mais il avouait
en même temps qu’il n’étoit pas son pouvoir de les contraindre et
que la religion se devoit persuader, et non commander.
4° Qu’il est à craindre que la continuation des contraintes
n’existe à la fin quelque grand trouble dans le royaume. […] LA
CONVERSION DES CŒURS N’APPARTIENT QU’A DIEU.
L’obstination au soutien des conversions ne peut être que très
avantageuse au prince d’Orange, en ce que cela lui fait un grand
nombre d’amis fidèles dans le royaume, au moyen desquels il est
non seulement informé de tout ce qui s’y fait, mais de plus très
désiré et très assuré (s’il peut mettre le pied) d’y trouver des
secours très considérables d’hommes et d’argent. Que sçait-on
même, ce malheur arrivant, si une infinité de Catholiques ruinés
et appauvris, qui ne disent mot et qui n’approuvent ni la
contrainte des conversions, ni peut-être le gouvernement présent,
par les misères qu’ils en souffrent, leurrés d’ailleurs de ses
promesses, ne seroient pas bien aise de le voir résussir ?Car, il
ne se faut point flatter, le dedans du Royaume est ruiné, tout
souffre, tout pâtit et tout gémit. Il n’y a qu’à voir et examiner
le fond des provinces, on trouvera encore pis que je ne dis. Que
si on observe le silence, si personne ne crie, c’est que le Roy
est craint et révéré, et que tout est parfaitement soumis : qui
est au fond, tout ce que cela veut dire. […]
… SA MAJESTE doit considérer que c’est la France en péril qui lui
demande secours contre le mal qui la menace. Le mal et la guerre
présente, ou plutôt cette conjuration générale de tous ses
voisins, unis et associés pour sa perte. C’est pourquoi eu égard à
l’imprtance de la chose, il paroit que le Roy ne sauroit rien
faire de mieux que de passer par-dessus toutes les autres
considérations, qu’il faut regarder comme frivoles et ne nulle
conséquence à comparaison de celle-ci, et de FAIRE UNE
DECLARATION, dans toute la meilleure forme que faire ce pourra,
par laquelle SA MAJESTE expose que , « s’étant aperçue avec
souleur du mauvais succès qu’ont eu les conversion et de
l’opiniâtreté avec laquelle la plupart des nouveaux convertis se
sont obstinés à persister dans la Religion prétendue réformée,
nonobstant les abjurations qu’ils en ont faites, et l’espoir
apparent qu’on lui avait donné du contraire, SA DITE MAJESTE, ne
voulant plus que personne soit contraint dans sa Religion, et
voulant d’ailleurs pouvoir, autant qu’à Elle appartient, au repos
de ses sujets, notamment ceux de la Religion prétendue réformée,
qui depuis quelque temps ont été contraints de professer la
catholique ; APRES AVOIR RECOMMANDE LA CHOSE A DIEU, AUQUEL SEUL
APPARTIENT LA CONVERSION DES CŒURS, ELLE RETABLIT L’EDIT DE NANTES
PUREMENT ET SIMPLEMENT AU MÊME ESTAT QU’IL ETAIT CY-DEVANT
permettant à tous ses sujets qui n’auront abjuré que par
contrainte de suivre celle des deux Religions qu’il leur plaira,
de rétablir les temples dans la quantité permise par le même Edit,
et donnant amnistie générale à tous ceux qui se seront absentés du
royaume à l’occasion de ladite Religion, même à ceus qui ont pris
les armes contre Elles pour le service de ses ennemis, et
révoquant tout ce qui a été fait contre, de même que toutes les
ordonnances, saisies, confiscations, faites à l’occasion des
désertions jusqu’à présent, promettant un chacun dans la pleine
jouissance de ses biens, à commencer du jour de la publication des
présentes pour ceux qui se sont demeurés dans le Royaume, et du
jour de l’arrivée de ceux qui s’en sont absentés […]
Et pour conclusion, faire cette Déclaration assez favorable pour
qu’ils aient lieu d’en être contens, et qu’ils y puissent trouver
le repos et leurs sûretés, en sorte qu’il ne soit pas nécessités
de faire d’autres demandes. Il seroit même très à propos de la
faire précéder par sortir des galères et des prisons tous ceux qui
sont encire pour cause de désobéissance ou rébellion à l’occasion
des conversions, et de les remettre en pleine liberté […]
Car ce serait une erreur très grossière de croire que les
contraintes puissent anéantir la Religion prétendue réformée en
France. Il y a plus de 120 ans que l’exercice de la Religion
catholique n’est plus permis en Angleterre ; il y cependant encore
assez de catholiques pour souvent donner de l’inquiétude aux
Protestants.
L’exemple des Morisques peut encore icy trouver lieu, car bien que
la religion Mahométane soit établie sur des principes très
grossiers et aisés à détruire, les Roys d’Espagne n’en purent
jamais venir à bout, après bien des guerres et des révoltes à
cette occasion, qu’en les chassant absolument de leurs Etats ;
point fatal à la décadence de cette monarchie qui depuis n’a fait
que déchoir.
Symphonie de Chambre n° 1 Vauban LWV 86 - 3ème Mouvement
VAUBAN A RACINE – DE PARIS
13 septembre 1696
Dès aussitôt mon arrivée ici j’ai écrit, Monsieur, a tous ceux
qui pouvaient me rafraîchir la mémoire du siège de Philisbourg et,
a mon retour, j’enverrai à Lille rechercher mes lettres du siège
de cette place à M. de Louvois, et de M. de Louvois à moi, avec
quelques brouillons des attaques que j’y dois avoir ; sitôt que
j’aurai ramassé out celé, j’en ferai un agenda que je vous
remettrai.
Je n’ai pas plutôt été arrivé ici que j’ai trouvé Paris rempli de
bruit de paix que les ministres étrangers y font courir à des
conditions très déshonorantes pour nous ; car, entre autres choses
ils écrivent que nous avons offert en dernier lieu Strasbourg et
Luxembourg, en l’état qu’ils sont, outre et par-dessus les offres
précédentes qu’on avait faites ; qu’ils ne doutent pas que ces
offres ne soient acceptées ; mais qu’ils s’étonnent fort qu’on ne
les a pas faites il y a deux ans, puisque si on les avait faites
en ce temps-là, nous aurions la paix. Si cela est, nous
fournirions à nos ennemis de quoi nous bien donner les étrivières.
Un pont sur le Rhin et une place de la grandeur de la force de
Strasbourg, qui vaut mieux, elle seule, que le reste de l’Alsace,
cela s’appelle donner aux allemands le plus beau et le pus sur
magasin de l’Europe pour le secours de M. de Lorraine et pour
porter la guerre en France. Luxembourg, de sa part, fera le même
effet à l’égard de la Lorraine, de la Champagne et des Evêchers.
Nous n’avons, après cela, qu’à nous jouer a donner de l’inquiétude
à M. de Lorraine ; le voilà en état d’être soutenu à merveille.
Je ne veux pas parler des autres places que nous devons rendre. Je
ne vous ai paru que trop outré là-dessus ; ils vaut mieux me
taire, de peur d’en trop dire. Ce qu’il y a de certain, c’est que
ceux qui ont donné de pareils conseils au Roy ne servent pas mal
nos ennemis ; ces deux dernières places sont les meilleures de
l’Europe, il n’y avait qu’à les garder ; il est certain qu’aucune
puissance n’aurait pu nous les ôter. Nous perdons avec elles pour
jamais l’occasion de nous borner par le Rhin ; nous n’y
reviendrons plus, et la France, après s’être ruinée et avoir
consommé un million d’hommes pour s’élargir et se faire une
frontière, que tout est fait et qu’il n’y a plus qu’à se donner un
peu de patience pour sortir glorieusement d’affaire, tombe, tout
d’un coup, sans aucune nécessité, et tout ce qu’elle a fait,
depuis quarante ans, ne servira qu’à fournir à ses ennemis de quoi
achever de la perdre. Que dira-t-on de nous présentement ? Quelle
réputation aurons-nous dans les pays étrangers, et à quel mépris
n’allons nous pas être exposé ?Est-on assez peu instruit dans le
conseil du Roy pour ne pas savoir que les Etats se maintiennent
plus par la réputation que par la force ? Si nous la perdons une
fois, nous allons devenir l’objet du mépris de nos voisins, comme
nous sommes celui de leur aversion. On nous va marcher sur le
ventre et nous n’oserons souffler. Voyez où nous en sommes ! Je
vous pose en fait qu’il n’y aura pas un petit prince dans l’Empire
qui, d’ici un an, ne se veuille mesurer avec le Roy qui, de son
côté, peut s’attendre que la paix ne durera qu’autant de temps que
ses ennemis en emploieront à se remettre en état, après qu’ils
auront fait la paix avec le Turc. Nous le donnerons trop beau à
l’Empereur pour manquer à s’en prévaloir. De la manière enfin
qu’on nous promet la paix générale, je la tiens plus infâme que
celle du Cateau-Cambrésis, qui déshonora Henri second, et qui a
toujours été considérée comme la plus honteuse qui ait jamais été
faite. Si nous avions perdu cinq ou six batailles l’une sur
l’autre et une grande partie de notre pays, que l’Etat fût dans un
péril évident, à n’en pouvoir relever sans une paix, on n’y
trouverait encore a redire, la faisant comme nous voulons la
faire. Mais il n’est pas question de rien de tout cela, et on peut
dire que nous sommes encor dans tous nos avantages : nous avons
gagné terrains considérables sur l’ennemi, nous lui avons pris de
grandes et bonnes places, nous l’avons toujours battu, nous
vivons, tous les ans, à ses dépens, nous sommes en bien meilleur
état qu’au commencement de la guerre, et, au bout de tout cela,
nous faisons une paix qui déshonore le Roy et toute la nation. Je
n’ai point de termes pour expliquer une si extraordinaire conduite
et, quand j’en aurais, je me donnerais bien garde de les exposer à
une telle lettre ; brûlez-la s’il vous plait.
Vauban
Symphonie de Chambre n° 1 Vauban LWV 86 -
4ème Mouvement
VAUBAN A MADAME DE FERRIOL
7 septembre 1703
Brisach, cette place si fameuse et de si grande réputation a été
prise en 14 jours de tranchée ouverte, Madame, un peu par la
faiblesse de sa garnison peu nombreuse pour une telle place, un
peu par la trahison du Rhin qui leur a fait des isles ou il n’en
fallait point, un peu par leurs fautes dans les réparations qu’ils
ont faites tout autrement qu’il ne fallait, et plus que tout cela
par l’intelligence des assiégeants qui ont bien su profiter de
leur manquements.
Je suis sûr, Madame, que cette nouvelle vous fera plaisir comme
bonne française et pour la bienveillance dont vous honorez l’homme
du monde qui vous aime le plus.
Tachez de me faire savoir précisément le temps que vous partirez
de Grenoble pour Paris, afin que, si je puis être chez moi dans ce
temps-là, comme j’en ai grande envie, je vous dresse embuscade sur
le chemin de Paris et que je vous mène chez moi vous reposer une
huitaine de
jours ; après quoi nous achèverons le voyage de Paris ensemble.
Adieu ma belle et très chère Angélique ; je vous aime, honore et
estime plus que toutes les femmes du monde ensemble.
Je n’ai pas le loisir de vous en dire d’avantage. Mille amitiés,
s’il vous plait, à toute votre famille.
PS. Je ne sais quand je pourrai m’en retourner ; on a grande
envie de faire encore un siège ; mais nous sommes bien faibles et
nous n’aurons rien que de grand à ataquer.
Vauban
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