Polymnie
           
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Polymnie
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Dominique Preschez Yves Lemoine Orgue et poésie

Dominique Preschez, orgue
Vicky Messica, Yves Lemoine, récitants


POL 301 163

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Polymnie Dominique Preschez
PolymniePolymniePolymnie
 

Dominique Preschez
Proliférations

Yves Lemoine / Dominique Preschez
Noctale

Dominique Preschez
Porte douce

Yves Lemoine / Dominique Preschez
De nuit la terre

Dominique Preschez
Fioretti
 
 

Il y a dix ans, nous rencontrions Dominique Preschez pour évoquer une collaboration avec le label. Il en naîtra une solide amitié, quatre CD sortis, la participation à un cinquième et de multiples projets à venir. La fin brutale de Dominique Preschez a poussé Yves Lemoine à lui rendre hommage en rééditant un tout premier enregistrement datant de 1972, auquel ils avaient participé tous les deux et dont Yves Lemoine était l'éditeur. C'est avec plaisir que nous participons à cet hommage en vous présentant ici, une réédition de ce disque 33 tours paru il y a tout juste 50 ans.


Gérard Durantel


Voici ce qu'écrivait Dominique Preschez lors de son dernier enregistrement consacré à ses improvisations à l'orgue et au piano... La réédition de ce présent disque boucle la boucle en revenant à l'improvisation.

"J’ai commencé ma vie d’improvisateur en 1971 - j’avais pris mes 17 ans - improvisant sur l’incomparable Cavaillé-Coll de l’abbatiale de Fécamp, pour l’enregistrement de Confrontation Orgue et Poésie, avec le poète Yves Lemoine, et le comédien Vicky Messica, et trois titres illustrant bien mon tempérament d’instinctif, de rêveur éveillé, d’homme libre : Proliférations, Porte douce et Fioretti, qui me valurent encouragements et félicitations des deux maîtres Charles Chaynes, le compositeur, et
Jean Guillou, le maître de l’orgue.

En 1998, j’enregistrai alors à l’orgue de Saint- Augustin de Deauville : Improvisations Passions, grâce aux Amis de l’Orgue de Deauville et à Pascal Leblanc, sur cet instrument qui m’est cher, depuis 1985 quand je fus nommé titulaire : orgue de renaissance, orgue de vie, orgue d’amour, orgue de consolation, orgue d’avenir, orgue du présent, orgue dédié à l’Esprit Saint, maintenant et déjà.

En 2006, vint à naître Ensemble et Création grâce à la volonté de Dominique et Nicole Galtier s’étant promis d’aider, de promouvoir le fruit de ma création musicale. Grâce à Ensemble et Création, l’enregistrement en concert, du double dvd Beklemnt, au grand orgue sans pareil de l’église Saint- Eustache, nous a valu les meilleures récompenses pour deux improvisations Sur le nom de Jean Guillou, et Légendes en forêt, ainsi que ma transcription de la Vème Symphonie de Beethoven, en liesse, dans l’accomplissement ou la démesure de toute création en prise directe, de cet art de la transcription qu’il m’a toujours plu d’exercer, de Beethoven à Ravel, de Schubert à Mahler, de Bach à Stravinsky, comme nombre d’autres organistes, aujourd’hui.

Depuis lors, outre Soleils noirs produit (c/o Ames / Harmonia Mundi), par Didier Lockwood, avec Caroline Casadesus, Jason Meyer, le Quatuor Via Nova, et Joachim Leroux (le Nouvel orchestre de chambre de Rouen), je vis dans l’harmonie partagée que dispensent à ma création, le label Polymnie et Gérard Durantel.
L’improvisation s’est, aujourd’hui, détachée de sa véhémence, ayant revêtu l’autre manteau de l’attente, du silence, d’imploration à vivre, d’amour.
L’improvisation bat à la pulsation du Cœur, chaque fois recommencée, binaire et ternaire qui s’épousent, s’immiscent l’un en autre, l’un sur l’autre, tantôt polymodale ou atonale... polyrythmique, tantôt tonale, aléatoire aux confins de terres lointaines qui me sont inconnues, que j’explore en musique tel un lâcher-prise sans peur ni retenue, comme passer de l’autre côté du miroir. Depuis mon adolescence, je n’ai pas cessé d’exécuter transcriptions, improvisations, lors de concerts en échange et partage avec le public invité à proposer des thèmes musicaux, ou des arguments littéraires, poétiques.
Outre ce vitalisme de l’improvisation qui aura généré nombre de récitals d’orgue, et les offices religieux à tous les moments liturgiques, le travail de l’artisan qui m’anime, procède des découvertes musicales, sonores au gré des chants d’oiseaux à la campagne, ou dans les jardins publics, des rumeurs de la ville, de la mer, des musiques dans les cafés, dans le métro, dans les gares ou dans la rue, à l’écoute d’œuvres nouvelles des compositeurs vivants, tout autant que de l’interprétation au piano du répertoire toujours recommencé de J.S Bach à nos jours jusqu’au compositeur de demain, qui naît peut-être aujourd’hui, dans la constellation.


Dominique Preschez



Polymnie

Yves Lemoine. Né à Paris en 1947. Université Paris VIII, Lettres modernes. Première publication 1964, admis à la Société des Gens de lettres en 1966, parrainé par Jean-Claude Renard et Henri Quéffélec. De 1966 à 1976, collabore avec les plasticiens Théo Kerg, Chaminade, Bernard Moninot, Anna Staritsky, Louis Levacher, Jean Duranel, François Burel, Bernard Souchière (avec qui il crée l’Atelier des Grames), Guy Massuard, Michel Wohlfahrt, entre autres. Publie dans de nombreuses revues littéraires (Critique, Création, Gradiva, La Barbacane, Arpa, Triages, etc.) et de 1966 à 2012 chez plusieurs éditeurs dont Fata Morgana et l’Atelier des Brisants. Crée et codirige avec Dominique Preschez, de 1977 à 1980, la collection "Des lettres" aux éditions Berger-Levrault (présentée en 1979 chez Macondo à Bruxelles, notamment). Sur les conseils de Jean Lescure, crée de 1978 à 1979 un court métrage "Ecrire l’absence" à l’I.N.A. (Institut national de l’audiovisuel). Dirige de 1980 à 1990 sa librairie à Deauville, carrefour culturel de centaines de rencontres prestigieuses d’auteurs et d’éditeurs dix ans durant. De 1995 à 2012, photographe plasticien, nombreuses expositions en France et en Allemagne. Un triptyque sélectionné en 2002 par un jury de 10 personnes issues du ministère et de la ville de Caen où il sera acquis et exposé au fil des années à l’Artothèque. Ami pendant de très longues années avec Jean Lescure (son père spirituel), Bernard Noël, Pierre Dhainaut, Michel Deguy, Andrée Chedid, Roger Munier notamment.

Savoir qu’il y a une issue, et de l’air, et de la lumière, et de l’amour, quelque part, au-delà de toute Mort.
Pierre Teilhard de Chardin

A Dominique
Mon hommage à Dominique paraît évident, preuve d’amitié et de fidélité ineffaçable, ne serait-ce que pour son œuvre musicale et littéraire abondante qui mérite d’être saluée et pérennisée, déjà largement perçue et reconnue par notre grande famille des arts, de la musique et des lettres.

La réédition en 2022 du disque de 1972 se justifie par sa précieuse valeur symbolique. Pour la première fois de son existence, Dominique enregistrait en public, il y a cinquante ans, des improvisations et offrait une expérience assez originale et très rare, la rencontre artistique entre orgue et poésie. Cette réédition du cinquantenaire marque aussi un terme à une œuvre artistique très considérable, louée par nombre de musiciens et d’écrivains, des créations qui ont su conjuguer avec élégance et brio l’art musical et la littérature.
Une autre valeur symbolique, non moins considérable, se situe, à titre personnel, par une amitié, une vie partagée presque sans faille de cinquante années, cela non plus ne s’efface pas, encore moins devant une mort précoce. Et surtout, lorsqu’elle laisse nombre de blessures et cicatrices... L’intimité demeure attachée à un autre domaine qu’il m’appartient ici de laisser discret, que je ne désire ni explorer ni dévoiler pour le moment. Cependant, je me crois autorisé plus que quiconque, étant vraiment le seul à connaître dans les détails tout le parcours d’une vie depuis cinquante années, seul à évoquer un passé autour d’une création des origines de 1971 à aujourd’hui. Je n’en tire aucun réconfort mais, comme il a pu me le dire, peu avant sa mort, une reconnaissance pour le chemin que je l’ai aidé à tracer notamment sur le plan littéraire, plus modestement dans nos circonvolutions musicales autour d’une identique passion, notamment pour l’orgue (Vierne, Widor, plus proches de nous Dupré et Guillou) n’étant moi-même, malgré une petite formation musicale de pianiste, que mélomane grâce à mon père musicien qui m’a rendu attentif à demeurer à l’écoute d’un long courant de la musique contemporaine, dite "classique", du XVIIème à nos jours, avec une préférence très marquée pour le trio Debussy, Ravel, Fauré, auquel on peut rajouter les noms de Stravinsky, Milhaud, Satie et Poulenc notamment. Nombreuses références que nous avons appris à partager. Que de souvenirs aussi de nos visites à la Maison de Radio-France et de nos échanges chaleureux avec les compositeurs Charles Chaynes et Pierre Petit !
Ce qui m’a interpellé chez le jeune Dominique de 1971, lors de notre première rencontre au Havre où j’exposais mes nouveaux livres-objets (dont l’ouvrage d’âge en âge jusqu’au retournement, aux éditions de l’Atelier des Grames sélectionné par la Bibliothèque Nationale de France et présenté en 1972 dans le cadre de l’histoire du "Livre" des origines à nos jours, figurant en bonne place dans le gros livre catalogue édité à cette occasion), s’est donc traduit quelques mois plus tard par le début d’une collaboration artistique, un récital musique et poésie à l’abbaye de Fécamp qui m’amena à produire un disque intitulé "Confrontation orgue et poésie" enregistré en public. Cette production signée de mes éditions fait l’objet en avril 2022, d’une réédition rare en CD accompagnée d’un livret conséquent. Improvisations de Dominique Preschez à l’orgue Cavaillé-Coll de Fécamp sur mes textes dits par le comédien Vicky Messica et moi-même.
Cette création fut vite suivie chez Dominique d’une fulgurante progression d’abord dans la création musicale puis, grâce à la richesse de notre amitié et surtout celle de nos amis écrivains proches, d’une passion considérable pour l’écriture littéraire. Me revient à l’instant le souvenir de l’ami Jean-Charles Philippe, professeur à l’Ecole des Beaux-Arts du Havre, qui nous fit découvrir l’immense Joseph Joubert : "L’amitié est une plante qui doit résister aux sécheresses" étonnante signification pour ceux qui connaîtront la suite de notre parcours... De nos éloignements et de nos réconciliations !
Enfin, comme me l’a redit très récemment avec beaucoup d’empathie, notre amie en commun, Nicole Zabata-Aubé, (conservatrice honoraire), je crois encore aujourd’hui avoir été parfois son discret et aimé pédagogue, une présence souvent cachée, parfois embarrassante sans doute, une ombre dissimulée dans les secrets d’un partage où il aimait évoluer librement. Ce qui explique aussi son besoin de liberté d’expression, d’évasion dans l’improvisation, dans la création musicale et littéraire. Son grand talent d’improvisateur se révèlera très vite, d’abord par ce premier récital d’orgue et poésie en 1972 à l’abbaye de Fécamp, et souvent, notamment dans la multiplicité de ses récitals d’orgue au Havre, à Fécamp, à Deauville, à Honfleur, à Bernay, comme à Lyon et à Toulouse, puis notamment par un vrai triomphe sur les orgues de Saint-Eustache à Paris dont le dvd sera reconnu et honoré en 2008 par cinq Diapasons d’Or !
Tout au long de sa vie Dominique aura connu et partagé avec les uns et les autres, et avec moi-même naturellement qui l’ai subi très directement, un goût conjugué à une passion pour les extrêmes, un plaisir presque sensuel pour une vie contrastée, souvent dangereuse que j’étais parfois tenu d’accepter, mais là n’est pas l’essentiel. C’est surtout sa création musicale - ses improvisations comme ses compositions -, qui devient presque charnelle, physique, en soubresauts, quand alternent les élans, les fulgurances romantiques avec des plages de silence dessinées en contraste par le sens de la méditation. On passe volontiers, notamment dans les improvisations à l’orgue, de la gravité méditative des voix d’un Louis Vierne à un enchantement primesautier d’un Concert champêtre de Francis Poulenc, et suit soudain du même Poulenc, une autre vision du temps, le Gloria, vision presque spatiale que met en lumière une présence spirituelle, dans cet instant où la musique devient la lumière du silence qu’il nous plaît par désir de contemplation de rapprocher des Trois petites liturgies d’Olivier Messiaen. Ces couleurs musicales, si opposées en apparence, parfois, se rencontrent dans les créations de Dominique, mais surtout elles deviennent le reflet de sa propre vie.

Le hasard de mes lectures qu’il nous arrivait d’ailleurs souvent d’échanger au téléphone m’a conduit récemment à relire ce livre incontournable de Jean Mambrino La Patrie de l’âme et en particulier ce que l’auteur évoque à propos du grand poète Max Jacob – un peu oublié de nos jours, semble-t-il – notamment de son signe astrologique, le Cancer, celui de Dominique, "l’art caméléonesque de Max, le don qu’il possédait de s’adapter aux circonstances et aux êtres les plus divers, d’épouser toutes les formes, tous les modes de la modernité, et dans son innombrable correspondance de se mouler à la figure de chacun, de se plier à chaque personnalité pour mieux lui correspondre. D’où cette multitude de masques." Une vie tout en contrastes où "l’invisible se cache dans le visible"...Pourrait-on éviter figure si parallèle ?
Personnage tout en contrastes quand la musique et l’écrit se rencontrent au-delà d’une forme conceptuelle traditionnelle venant s’épurer sur une dimension spirituelle. "La parole qui définit et la parole qui pénètre lentement dans la nuit de l’inexprimable", dit Maria Zambrano, citant Jean de la Croix "J’écrivais des silences, des nuits, je notais l’inexprimable. Je fixais des vertiges". (Cantique spirituel, première version, strophe 20). De même que la musique ouvre le silence ou le révèle quand, selon Gustav Mahler, "la musique décore le silence", ce que rapporte encore Jean Mambrino citant Léon Bloy : "Le silence est ma patrie" dans son parcours de l’œuvre du poète Jules Supervielle, une sorte de paradoxe qu’illustre bien le mot de Jean Starobinsky : "Les vrais musiciens, par la manière dont ils attaquent le silence, le rendent plus profond".
Le silence et son contraire ne sont-ils pas souvent ce signe de complicité artistique propre à la ferveur de cette création merveilleuse avec le père Jean-Parfait Cakpo, curé de Deauville, dont le chant irradie tout le sublime du Gloria ?
Comment ne pas oublier Daniel Hauser, ami de longue date, (ancien séminariste du Grand Séminaire de Lille) m’encourageant à demander une plaque commémorative, assez vite acceptée par la municipalité de Deauville et son responsable culturel Philippe Normand. Qu’ils en soient ici remerciés.* Ainsi que notre ami Gérard Baille dont la bienveillance le conduit parfois à sacrifier une part de son temps d’écoute littéraire et musicale !
L’art des contrastes me fait encore penser, à l’époque où nous nous sommes connus, à cette passion que Dominique manifestait pour Jean Cocteau, notamment pour cette citation devenue très familière qu’il se plaisait sans cesse à me répéter : "je suis un mensonge qui dit toujours la vérité". N’est-il pas étonnant de l’associer à ce que fut une partie de son existence, de ses pirouettes, de son agilité à se sortir de bien des embarras et de rebondir sur des créations nouvelles ?

Sauf que fatigué, meurtri à plusieurs reprises par les persécutions dont il fut la cible, il m’informa de ces attaques successives sans que je puisse intervenir et, secrètement, revint l’ancienne maladie... Son extrême sensibilité mise à mal le fit sombrer. Mes visites à son ancien domicile m’en donnèrent plus tard la preuve. Personne ne vint à son secours, et moi-même, inconscient, éloigné dans mon arrière pays, sans doute rêveur, je devenais malgré moi à la fois complice et coupable de ne pas comprendre ce qui allait arriver. Ignorant cette douleur plutôt mystérieuse, je ne m’interrogeais pas davantage, l’imaginant dispensée sous le quotidien par ses envolées lyriques. En réalité, l’artiste comédien ne se trouvait-il pas soudain confronté à une obscure blessure dont tout était
passé sous silence par un cheminement secret, presque "blanchotien", dont il ne me parlait pas, malgré nos échanges téléphoniques journaliers, et de plus en plus souvent, soir et matin...
Cette fréquence nouvelle aurait dû m’alerter, m’inquiéter davantage, mais,
par ce rituel quotidien, je ne me doutais pas de ce qu’une voix pourtant apparemment claire me dissimulait, jusqu’à un certain soir où le silence me paraissant plus long que d’habitude je décidais d’appeler, et là une voix déjà éteinte me répondit : "Tout va bien, tout va bien...!"
Il devait mourir quelques heures plus tard.

Yves Lemoine

* Commémoration de la mort de Dominique Preschez, compositeur et écrivain, décédé le 25 avril 2021, à l’âge de 66 ans, organiste titulaire de l’église Saint-Augustin de Deauville depuis 2007. Plaque commémorative apposée le dimanche 1er mai 2022 par la mairie de Deauville.

Polymnie



Avant-propos

Bien que la préface de deux peaux, l’apparence, dont Roger Munier m’a gratifié, paraisse déjà très ancienne (1972), liée à d’autres de mes textes réunis ici (sauf la première suite), il m’a semblé utile, avec son accord reçu peu avant sa disparition, de la proposer à mes lecteurs, en tant qu’introduction pour ses qualités intemporelles et sa résonance intérieure. Ceci pour deux raisons : une absence totale de diffusion de cet ouvrage dont elle fut le propos. Ensuite, pour ce qu’exprime Roger Munier par la subtilité et la densité de sa réflexion. Découvrant habilement un lieu où se conjuguent à la fois le détail révélateur de l’image, parfois le signe d’une contradiction, et la couleur clair-obscur des métaphores. Expérience ou épreuve ? Cette étude nous paraît encore très actuelle, même si mon écriture d’aujourd’hui, assez différente sans doute du passé tant par la forme que par l’orientation, à la suite des poèmes évoqués si généreusement par Roger Munier, se situe peut-être, encore qu’équivoque par son cheminement (mais ce n’est pas à moi d’en faire l’exégèse) sur une même ligne de partage que plusieurs des textes qui ont précédé ou suivi (depuis Le Partage des eaux à Parler nu a deux visages... par exemple) offrant ainsi, je le crois, une certaine unité du sens de l’image auquel mon esprit semblait s’être déjà rangé. Tel un "ensemble" se déplaçant d’âge en âge, par des colorations sans doute différentes, mais destinées toujours à redire inlassablement ce que révèle encore, à terme, toute disparité. Et enfin, l’occasion de rendre hommage à Roger Munier, à l’ami discret qu’il fut, grâce à qui notamment, j’ai découvert Maurice Blanchot, Martin Heidegger, Philippe Jaccottet, Octavio Paz. De même que Jean Lescure me fit entrer dans son univers de poètes et plasticiens tant celui de Bachelard dont il fut l’élève, que plus tard l’essayiste et ami de Raymond Queneau, oulipien lui aussi, Jacques Bens, me conviant à le rejoindre dans l’Atelier de recherche de l’I.N.A. où je fus amené à réaliser ma première expérience plasticienne littéraire et cinématographique sous l’égide d’Alain Trutat et de Michel Anthonioz. Si je l’évoque, ce n’est pas sans lien avec mes découvertes littéraires de l’époque, mon amitié avec Bernard Noël et ma réflexion filmée sur l’absence, son nom perdu, d’après une œuvre de Bernard Moninot.
Cependant, je regretterai longtemps, par négligence sans doute de jeune auteur assez "présomptueux ", de n’avoir jamais demandé à Munier de rencontrer l’un de ses précieux amis Pierre-Albert Jourdan - ni même, pour d’autres raisons, Louis Calaferte dont je me suis senti si proche par la pensée – dois-je ajouter, sans lasser mon lecteur, que ma rencontre, mes quelques échanges de correspondances avec Yves Bonnefoy et André Du Bouchet, proches de Roger Munier, comme leurs encouragements, ne m’ont jamais laissé indifférent ! Humble hommage à l’ami Roger Munier, disais-je, par la nouvelle publication de son propos tenu longtemps confidentiel mais désormais rendu lisible hors la nuit.
Juste remerciement aujourd’hui à "un homme rare " comme le disait Chateaubriand de Joseph Joubert, le même Joubert qui eut voulu parfois par son jugement opposer le philosophe au poète ! Et qui pourtant déclarait : "On ne peut trouver de poésie nulle part, quand on n’en porte pas en soi." Ou encore : "La transparence, le diaphane, le peu de pâte, le magique ; l’imitation du divin qui a fait toutes choses avec peu et, pour ainsi dire, avec rien : voilà un des caractères essentiels de la poésie." Ou enfin "Les choses qui dépendent de la lumière de l’esprit ne peuvent se prouver à aucun homme que par la lumière qu’il a."
Merci donc à l’ami Roger Munier, au poète, au philosophe, pour son approche sensible et généreuse
de mon travail, pour son texte rare !

Yves Lemoine ( 2018 )



Polymnie




Préface de Roger Munier, à l’origine destinée à l’ouvrage dédié à Dominique intitulé deux peaux l’apparence - 1972

Yves Lemoine tente ici le poème du vide. Il l'ébauche. Son oeuvre entière n'y suffira pas... Car le vide n'est pas séparable de l'apparence. Il est son profil, le dessin qui l'achève et constamment la foudroie, son éclat. On n'en parle qu'en parlant d'elle en cela justement qui la fait ce qu'elle est : rien d'autre que soi. Toute forme est, comme forme, niée. Elle se pose et s'annule dans le même mouvement, en sa netteté même se consume. Elle s'use continûment dans son émergence et ne tient qu'à raison de cette usure, sans fin s'y contredit. Le présent livre, il me semble, déploie cette contradiction. ll va au visible dans son contraire qui le sculpte et précairement l'assure — qui est lui-même. Qui seul le rend visible, c'est-à-dire achevé, défini, saisissable — et toujours s'achevant, finissant, fini. Il va donc au visible, mais du même coup au visible dans son ensemble, si seul le requiert le vide ainsi surgissant de la forme en son contour. Et c'est pourquoi, je dis que l'oeuvre qui commence ici son parcours n'y suffira pas. Jamais n'épuisera l'inépuisable enquête. Le dire du vide, s'il en est, ne s'achèverait de droit qu'avec l'inventaire complet de l'apparence, son plein dénombrement. Sa ruine consommée ou son exaltation, la célébration de son lever ou de sa perte en ce lever : c'est tout un.

deux peaux l'apparence entreprend ce déchiffrement tendu. Voudrait montrer, toucher l'apparence ainsi venant à soi : dans sa mue. La solidité, l'opacité sont premières. C'est, par exemple, "la résistance du feuillage". Ou la dureté, l'extériorité compacte et rassurante des pierres. Mais la faille apparaît bientôt. Rien là, finalement, de solide : "les pierres écartent le toucher". Comme retenant un fragile équilibre, fait de tension extrême. L'opacité est mise en jeu. De la distance où elle se garde en une sorte de retrait poignant, la pierre invite à une autre approche, lance un appel. Suspens, saisissement de la découverte. Muette présence qui s'annonce. Un vide monte de l'extériorité pleine, de la compacité (sans jeu de mots) apparente, du contour.
la résistance du feuillage découvre son opacité et tout silence ouvre une forme née transparente
Dans le silence ouvert, la forme s'ouvre elle aussi. Peu à peu le cède à ce qui la tient et retient, à ce qui la fait forme. Comme perdant sa "peau", elle découvre un autre corps, un corps interne, vibrant, fragile : la forme pure en elle, forme "née transparente ", qu'elle érige en l'occultant. Le vide qui fait le contour apparaît proprement dans le contour. C'est la même forme, mais qui se délivre, s'ouvre sous le voile qu'elle est à soi, se déclare, s'annonce en son éclat : au moment même de son éclat et à raison de cet éclat, foudroyée. Dans l'instant de sa naissance et celui de son ici mortel fugacement, indissolublement liés - soudain une et la même. Ainsi apparaît-elle en ses deux "peaux", deux peaux elles-mêmes "transparentes" : la première qui, levée, laisse voir l'autre plus transparente encore. L'opacité se dissout, se délie en soi, devient sa perte. Le vide parle.
Il parle dans le dire du poème. Le dire, sans doute accomplit le vide - qui, levant la première peau, s'égale à la seconde. Ce qui nomme, et nommant achève le contour, est aussi ce qui foudroie. Le vide, peut-être, attend le dire pour son lever. Mais non pas n'importe quel dire. Il attend un dire pur, la parole blanche. C'est celle à quoi se voue Yves Lemoine et dont il précise les règles, ici et là. "Ecrire ou écouter la transparence." Regarder le silence s'équilibrer autour du geste - chorégraphie de l'écriture - autour du verre autour du bois découper le métal du mot "Ecrire l'air que l'on respire Imprimer la couleur du silence." Et ceci, qui résume tout : "Ecrire avec la préhension du visible ou creuser l'appréhension du vide." Dans une sorte d'équivalence de silence et de musique, quand l'un et l'autre "cherchent - comme cette feuille - l'air où le geste rêve une seconde vacuité afin de se voir projetée leur abstraction visible".
C'est qu'il ne s'agit bien et toujours, dans la reconnaissance fulgurante, que du visible, si le vide n'est rien d'autre que ce qui le traverse et l'érige, qui le tient. Et là, Yves Lemoine dispose d'un truchement, le seul truchement en fait, qui porte souffle et parole : le corps. Livre en quête de l'apparence nue, ce livre est aussi celui du corps, pleine apparence, sommet vivant de l'apparence vulnérable. "Chair, écrit Lemoine, langage mis à nu". Le corps est à l'écoute. Tautologie parfaite, le corps est par lui- même langage improférable proféré. Il est langage mis à nu, en effet, dans l'épaisseur du visible et selon l'énigme du visible. Ce qui n'est pas dit, ne peut se dire à part, se dit dans le corps, en termes de corps. Sensible en lui, par lui sensible et approchable. Le corps est la parabole achevée : l'écriture est "chorégraphie", et c'est "autour du geste" que s'équilibre le silence. Mais le corps nu, vulnérable. Lui aussi foudroyé dans son apparence glorieuse et comme verbe érigé. Le corps a l'accès : "Nu lâché au vide a bu le sourire bleu" "Peau plus légère paille où tu souffles baiser du vent" " Chair / vivance/ pressement/ pressement / touche la parole immobile ". On relira, pour mieux entendre ce pouvoir, la belle suite A la distance des mains.
Entre ce corps à l'écoute et l'apparence attendant son vrai nom dans le dire que le corps, en son savoir, subtilement conduit, que reste-t-il ? Tout le champ d'ordinaire parcouru du réel qu'on sait de toute manière frappé de vide, en proie au temps.
Entre-deux peuplé d'apparences en exode, où la brisure, la cassure, la déchirure, la plaie même sèment leurs éclats. L' "écorchure", dit Lemoine. C'est au début du livre et par quoi commence la traversée de l'apparence. Une lecture de la scission dont la reconnaissance première permettra l'accès au silence blanc qu'elle signale déjà. "En appui", se révèle ainsi "la déchirure du silex". La fleur elle-même, en instance, comme toute chose, de perte, "la fleur doit être un événement de sang le miroir éclaté des larmes". Ailleurs on nous parle de "la plaie ouverte... dans le galet ". L'opacité des choses est un leurre. Elle est attente et désir peut-être de déflagration, d'éclat, ressentie pour l'instant dans le moment encore inaccompli de la plaie. Toute chose attend sa ruine, la gloire de son propre vide un jour manifestée. Cela se fait, dans les poèmes que l'on va lire, en mots jetés, prudemment éparpillés, comme en un geste de retrait. L'écriture, elle aussi, dit la cassure essentielle. Le mot vient et s'efface, dans une épiphanie fugitive. Pour que se dise ce qui est à dire, à savoir ce qui vint du vide autour de nous continûment retourne au vide. Dans la perte, elle-même, des mots.

Roger Munier 30 avril 1972



Polymnie


à la distance des mains
si loin parler
à deux voix
parler de main en main
du souffle
de la forme restée bouge 
du creux faible
de la paume
du sens
à peine 
on bouge 
le creux
son épaisseur
on étouffe 
un cri
sa déchirure
ce geste
ce plus beau parcours
la distance d’un vol
d’un visage à l’autre
si loin parler
de deux mains malhabiles
du jour qui cherche
du jour qui tremble
et qu’on souffle
du bout des doigts
vois on tire une écorchure
on ouvre
et la pierre
et le sommeil
d’une herbe éclose
du jour qui cherche
du jour qui tremble
c’est tout
la nuit on oublie qu’on déchire
vois
je me vois
seul signe
du milieu lunaire
bien avant que la feuille ait donné
son épaisseur
vois
ce que je vois
vois
la découpure
donne
l’apparence
l’épaisseur d’ombre
vois je me vois 
vois ce que la main effleure de muet 
si la calanque respire avant d’être
vois
ce que je vois
la ligne des sables
la découpure des feuilles
oublier son feuillage
vois
interroge la coupure bleue 
la bleuité vive de l’
air
vois vois
bientôt le silence 
révéler son empreinte
vois je me vois
ce que je vois
rien ne disait le vide 
écorché
transparent
rien ne disait le mal dépecé
du silence
rien ne disait la peau moins membraneuse 
la peau le verre
vois
 ce que je vois
vois
ce 
que je vois
bientôt l’étendue se défaire de 
l’écorce
bientôt l’herbe oublier son 
frôlement liquide
vois je me vois
tantôt je regarde
je me fais au destin des pierres
à leur sommeil
plus de prisme ne passe l’arbre de verre
tantôt j’oublie 
jusqu’à la porte douce
de
l’échappée 
vois
bientôt l’écarlate 
bientôt
la geôle blanche
vois je me vois
un printemps sous nos paupières 
à qui sait boire
plus qu’un feu sous les arbres
vois
ce que je vois
vois
la terre plus haute
la profonde saignée
le plus haut sommeil
retourné
en terre
la mémoire
épouse le corps
oublie
dors
sable diffus
oublie
où l’espace
tourne les soleils
bouge
que je m’absolve du bois
j’écoute
se déliter l’air
vois je vois
bientôt le silence
oublier l’autre côté de l’air

Polymnie


Comment rester insensible devant ce qu’écrivait Pierre Lefebvre, dans Paris-Normandie en mai 1972
Yves Lemoine et Dominique Preschez sûrs de cette forme toute nouvelle d’expression qu’ils veulent créer, ne reculent pas non plus, devant l’énorme difficulté que représente l’enregistrement d’une création, en présence du public. Si la poésie d’Yves Lemoine est faite de murmures et d’allusions, les partitions (et improvisations) de Dominique Preschez jouent avec les discordances, l’oppression, l’attente de la délivrance, le tout sur des contrastes, des violences qui, sans doute, choqueraient sur un instrument autre que l’orgue. Mardi soir, à Fécamp, la naissance d’un art nouveau.
Le même Pierre Lefebvre écrivait quelques jours plus tard :
Il est aucun besoin d’être spécialiste en matière musicale pour reconnaître en Dominique Preschez, un musicien qui restera ! Il domine l’instrument, sait le faire tour à tour exprimer la tendresse, l’inquiétude d’Yves Lemoine, puis la violence de ce qui peut être une révolte, un cri d’angoisse. Avant l’enregistrement, les auteurs pouvaient parler de confrontation entre orgue et poésie. Le résultat est là, c’est d’une communion qu’il s’agit.

Polymnie

Acteur, interprète de poésie et metteur en scène français, Vicky Messica est né le 10 février 1939 à Tunis et décédé à Paris le 11 novembre 1998.
Créateur de sa propre salle en 1982, le Théâtre Les Déchargeurs, situé rue des Déchargeurs dans le quartier des Halles à Paris, Vicky Messica a tourné dans de nombreux films sous la direction de metteurs en scène comme Jean Desvilles, Jean Delannoy ou Jean-Luc Godard, participé à plusieurs séries télévisuelles ( Laure, Saint-Just ou la force des choses, Les Enquêtes du commisaire Maigret etc.).
On lui doit aussi certaines mises en scène (notamment Les Fils du soleil, de Christopher Hampton) et des apparitions au théâtre comme comédien.


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L'adoration de la mort est une perpétuelle mémoire


Dominique Preschez in le Cahier bleu (Deux cahiers de rencontres entre Françoise Pacé et Dominique Preschez) 1991 L'Oeil Ecoute, Bernay 1991

Il était une fois :
 L'histoire commence avec un petit coffret vert pâle, publié à la "Bibliothèque des Arts", rassemblant les écrits de Gustave Roud. Qui connaît Gustave Roud, ce poète né en Suisse en 1897 ? Quelle ne fut pas la surprise de Madeleine Santschi, écrivaine, essayiste suisse, de découvrir ce petit bijou dans un coin de la vitrine d'une librairie de Deauville installée face à l'entrée de l'hôtel Normandie, haut lieu de la "jet society". Elle a poussé la porte et est entrée dans un univers de littérature, de poésie, de philosophie, une traversée du miroir dans cette station balnéaire de la côte normande. Deux personnes l'ont accueillie : Yves Lemoine et Dominique Preschez.
La librairie a disparu, Madeleine Santschi également, et aujourd'hui Dominique Preschez a rejoint les espaces de ses perpétuelles quêtes et recherches.
Le temps du souvenir me ramène aux années de Bernay. Alors jeune conservateur du musée, je souhaitais organiser des rencontres autour de la création contemporaine. C'est avec Yves Lemoine que nous avons commencé à échafauder le projet. Qu'il me soit permis, ici, de lui rendre un hommage, lui qui fut le pilier invisible et le ferment de ce temps partagé depuis 1991, de ces moments inoubliables qui ont marqué la vie culturelle de la petite cité normande.
Devant l'ampleur de nos ambitions, Yves Lemoine m'a présenté Dominique Preschez. Les rencontres de "l'OeilEcoute" venaient de naître.
Sa culture, ses connaissances dans les domaines de la littérature, de la musique et de la création sous toutes ses formes ont, en trois éditions successives, construit, dans la jubilation et la joie, des rencontres et des manifestations d'un haut niveau d'exigence et de grande qualité. Nous avons ainsi reçu des auteurs comme Madeleine Santschi, Bernard Delvaille, Bernard Noël, Michel Butor, Yadollah Royaï, Jude Stéfan ; des éditeurs exceptionnels comme Vladimir Dimitrievitch (Editions l'Age d'Homme) et Bruno Roy (Éditions Fata Morgana) ; des artistes comme Edouard boubat, le photographe, Hossein Zenderoudi, Chantal Barbanchon, Michèle Moreau, Martine Dubilé, Pierre Tal Coat.

Dominique Preschez, ce grand Monsieur, ce génie de l'art avait la boulimie des mots, de la musique, de la création sous toutes ses formes. Mais il avait, également, la boulimie de la vie. Que cherchait-il dans ses quêtes effrénées qui le conduisaient parfois aux limites du possible, de l’indicible, aux confins de la pensée, dans les méandres les plus sombres de l'âme humaine comme dans ses plus belles œuvres de lumière ? A-t-il atteint la Source, l'origine de la Source, là où tout commence, le début et la fin de toute chose, le secret de la matière, le mystère des trous noirs. Il était Ombre et il était Lumière. Il ne laisse pas un vide mais une Présence Absente.
Nicole Zapata-Aubé, conservateur en chef honoraire


La mémoire de Dominique Preschez, une silhouette et un visage radieux, scande le pèlerinage existentiel, cheminant sur les routes musicales des Abbayes Normandes. Une mémoire toujours juvénile et précieuse.
Une élégance musicale, vive et concertante, prolonge mes souvenirs amicaux partagés dans le calme secret du manoir de Gonfreville et de l'ivresse musicale de l'Abbaye de Lessay.
À l'image de son œuvre, son parcours intérieur révèle la fluidité des rivages normands, l'harmonie maritime empreinte de lyrisme, de douceur et de violence poétique. Dualité essentielle au cœur de Dominique faisant écho à ses plurielles sources d'inspirations artistiques.
Sa création musicale luna park consacrée à la mort tragique de Pier Paolo Pasolini est une œuvre emblématique et fascinante de son expression immatérielle, la plus symbolique de son œuvre de poète-musicien dont les vers du poète romain dans Poésie en forme de rose en exprime une fidèle fusion et une vitalité radicale d’allégresse amoureuse :
"Là-haut il n'y a pas de nue, mais, seul dans le cosmos, le vent. "
Gérard Baille Conseiller artistique
Abbaye de Lessay.


Dominique Preschez était un expert en liberté. Son art est la combinaison d’une hauteur d’inspiration authentique et d’une érudition passionnée et brûlante. Il ne pouvait emprunter l’habit d’un autre, il ne connaissait que le sur-mesure.
J’ai eu le bonheur de voir naître sous mes doigts ses pièces pour et avec guitare. Chacune a sa propre personnalité, tout en ayant la saveur des "classiques" du répertoire. Dans le monde de ses partitions, Dominique invite à sa table Fernando Sor, Heitor Villa Lobos ou Leo Brouwer et engage une conversation avec eux. Ensemble, ils cuisinent un savoureux mille-feuilles musical. Une musique-monde.
Ses partitions se lisent comme des palimpsestes, en strates successives comme autant de souvenirs qui dialoguent et s’entremêlent... Le langage, si personnel et original soit-il, permet la projection et l’identification immédiate car il semble regarder l’évolution du système tonal de haut. Musique méta tonale où l’on fuit le dogme sans se l'interdire. On y reconnaît certains paysages, mais on les voit avec un éclairage et un point de vue auxquels on n’avait pas accès jusqu’alors. Son œuvre littéraire est marquée par la même hauteur de vue. Et par un fonctionnement on ne peut plus musical. Développement de cellules et improvisations autour de celles-ci ; sens de la narration et sens du laisser aller ; style aussi élégant qu’excentrique, aussi délirant que charpenté. Une musique lettrée, une prose musicale et la poésie à tous les étages.
Chez Dominique, l’oeuvre se confondait avec la vie, et l’art n’avait pas d’autre arrière-pensée que d’être sincère.
Sébastien Llinares


C’était à Bernay, à la fin des années quatre-vingt-dix. Un concert organisé principalement pour les élèves du conservatoire et leurs familles. Il y avait une soprano accompagnée par un orchestre de chambre et étaient données les fables de La Fontaine, en présence du compositeur, Dominique Preschez.
Les premières notes s’envolèrent et la voix jaillit, étonnamment limpide et claire, quand, soudain, une panne d’électricité commune à toute la ville plongea brutalement la salle dans le noir. Bien sûr, la musique s’arrêta et les murmures montèrent, chargés de questions et de désolations. Puis, après quelques minutes, on entendit la voix de Dominique, cette voix chantante et choisie que tous ses amis chérissaient, qui demandait aux enfants de s’approcher du plateau. A chaque élève, il donna une bougie sortie d’un carton qu’il était allé chercher en courant. Imaginez comment le concert put reprendre, la soprano et les musiciens de l’orchestre, chacun encadré par deux enfants éclairant la partition d’une lumière magique et vivante. Depuis ce jour où le charme du merveilleux avait fait naître l’amitié autant que l’admiration, Dominique et moi avons partagé mille projets artistiques, mille ferveurs, mille éclats de rire et mille déjeuners délicieusement gourmands. Avec l’Ensemble Boïeldieu, avec l’Orchestre André Messager, avec des musiciens amis, vinrent les créations de son Concertino pour piano, des Trois eaux fortes, de la Deauville Symphonie, d’Escales & paysages, du Concerto da camera, œuvres d’art d’une écriture inimitable et toutes spirituellement inspirées, urgentes, indispensables et sincères. Que ce soit dans ses compositions ou dans ses improvisations (que de souvenirs exaltants à Paris, à Bruxelles ou dans les abbayes normandes !), je crois que Dominique Preschez - et que l’on comprenne bien ce que je veux exprimer - avait le don - la grâce - de ne pas avoir à "penser" lorsqu’il créait. Sur le papier ou sur les claviers, il jetait en un grand souffle lyrique ce que le Ciel, la Terre, un poème ou un texte sacré inspiraient à sa sensibilité. Libéré par son immense culture de la sèche tyrannie des écoles, il laisse une œuvre à jamais vivante car toute faite d’émotion pure.
Thierry Pélicant




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