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"Le prélude est une forme de musique absolue,
destinée comme son nom l’indique, à être jouée avant un morceau de
musique plus important ou comme introduction à une certaine
fonction. La forme s’est toutefois étendue à de la musique tout à
fait indépendante. Mais aussi longtemps que ce nom sera donné à un
morceau de musique, l’œuvre devra, dans une certaine mesure,
satisfaire à la signification de ce titre".
Le Prélude selon Rachmaninoff
Si l'oeuvre de Chopin a exercé une influence essentielle sur toute
la littérature pianistique, et principalement ses Préludes, forme
dédiée à la spontanéité et à la liberté de l'improvisation,
Sergueï Bortkiewicz et Guy Sacre, avec leurs Préludes, m'ont paru
illustrer admirablement cette filiation, Bortkiewicz par le
souffle romantique et empreint de mélancolie "slave", Guy Sacre
par le raffinement de l'écriture.
Chopin : Préludes opus 28
Composés pour la plus grande partie durant l'hiver 1838-1839 à la
Chartreuse de Valldemossa, aux Îles Baléares, dans des
circonstances très difficiles - pluies diluviennes, inconfort du
séjour dans un monastère, santé chancelante du musicien - relatées
par George Sand dans Un hiver à Majorque et Histoire de ma vie,
les Préludes comptent sans doute comme l'une des oeuvres les plus
saisissantes de Chopin : pièces brèves qui s'enchaînent de façon
très contrastée, et remplies souvent d'une intensité proche du
paroxysme.
Commentaires sur les Préludes de Chopin
24 Préludes opus 28 - 1838 Majorque
25ème Prélude posthume en Lab Majeur - 1834 Paris
En 1831, Chopin commence à écrire quelques préludes à Paris, mais
ce n’est qu’en 1838 qu’il va se consacrer au recueil complet, à
Majorque, en compagnie de George Sand et ses enfants. Il sait qu’à
Paris le fidèle ami Jules Fontana attend pour les faire éditer.
Déjà très atteint par la phtisie, le séjour à Majorque devient de
plus en plus pénible ; ils trouvent refuge dans une chartreuse,
mais le climat ne sera pas celui qu’ils attendaient, soleil mais
aussi pluie incessante et habitants inhospitaliers.
Certains de ces préludes sont toutefois composés pendant des
"heures de soleil et de santé" et de "bruits des rires enfantins
sous la fenêtre" que décrit George Sand dans Histoire de ma vie.
Robert Schumann, toujours enthousiaste pour l’œuvre de Chopin,
écrira : Dans chaque pièce, la même fine écriture perlée : c’est
Frédéric Chopin ; on le reconnaît jusque dans ses silences, à son
souffle ardent. Il est demeuré le plus audacieux, le plus fier
génie poétique du temps. Ce cahier contient aussi du morbide, du
fiévreux, du farouche. Que chacun y cherche ce qui lui convient,
seul le bourgeois n’y trouvera rien.
1) Ut Majeur. Agitato. Sur des basses tonales d’une main gauche
parfaitement rigoureuse, la main droite chante avec les pouces,
sur un rythme à 6/8 haletant et fiévreux. Vagues orageuses sur une
mer déchaînée, plaintes dans la nuit.
2) La mineur. Lento. Composé en 1831 à Paris, Chopin pressent
qu’il ne reviendra plus dans sa Pologne natale. Caractère lugubre
d’une procession de moines sur une plage déserte, éclairée par un
croissant de lune, vers quelque chapelle inaccessible. Sur la main
gauche en accords de septièmes diminuées et sixtes majeures, et le
mineur jonglant avec le majeur, la main droite chante avec ferveur
et une émotion poignante.
3) Sol Majeur. Vivace. Des mouettes volent, puis se posent
gracieusement sur de petites vagues d’une mer claire et
scintillante.
4) Mi mineur. Largo. Sur la main gauche écrite en un mouvement
chromatique avec des accords répétés et d’un contrepoint
rigoureux, le désespoir tout à coup éclate sur la triple
répétition de la même note à la main droite, d’une implacabilité
qui navre le cœur. C’est peut- être le plus connu et le plus
popularisé.
5) Ré Majeur. Allegro molto. L’écriture typique de Chopin aux
intervalles disjoints, allant jusqu’à la onzième et en mouvements
contraires aux deux mains, en forme une véritable mosaïque de
notes, d’où se faufile une brève mélodie passagère et toujours
poétique.
6) Si mineur. Lento assai. Le caractère religieux du chant à la
main gauche qui vibre comme un violoncelle et l’insistance de la
note qui se répète à la main droite, incolore. Note bleue ou
goutte d’eau.
7) La Majeur. Andantino. Sur un rythme à trois temps, une esquisse
d’hésitante et lointaine mazurka, murmurée, les yeux clos.
8) Fa# mineur. Molto agitato. Sur un rythme obstiné et saccadé
déclamé par le pouce de la main droite, déferlent de fines croches
à l’intérieur de chaque temps ; mais là ce sont des rafales de
vent et d’orage, qui laissent sur les deux mesures finales
entrevoir un regard visionnaire et hagard.
9) Mi Majeur. Largo. Laisse imager un chant patriotique si cher à
Chopin tout en intériorité, sur une mélodie et des harmonies que
l’on reconnaît presque dans l’Etude n°3 opus 10 Tristesse écrite
d’ailleurs dans la même tonalité.
10) Ut# mineur. Allegro molto. La grâce et la légèreté contrastent
toutes les deux mesures avec un chant d’étranges vocalises
recueilli sur un rythme de mazurka, qui n’est pas sans rappeler
celui de la dernière des Mélodies pour soprano et piano, qu’il
dédicacera à Pauline Viardot.
11) Si Majeur. Vivace. L’élégance et la fantaisie
de cette arabesque, où alternent tierces, quintes et sixtes, sur
une main gauche qui ondule à 6/8.
12) So# mineur. Presto. Une vraie chevauchée
héroïque avec une main gauche en accords bondissants dans une
vision d’un cavalier perdu dans un paysage escarpé, comme
cherchant l’infini dans l’inspiration de l’œuvre du poète Adam
Mickiewicz, La Nation et les poètes polonais.
13) Fa# Majeur. Lento. C’est une rêverie qui
semble glisser sur un rythme de barcarolle d’une écriture très
dépouillée mais riche d’harmonies subtiles. La tonalité de fa#
Majeur identique à celle de sa Barcarolle. Puis un passage piu
lento, comme si le temps était suspendu. Et le premier thème
reprend alternant là encore le mineur et le Majeur mais à deux
voix, d’une excessive finesse, et comme irréelles.
14) Mib mineur. Allegro, pesante. sur des nuances
crescendo, diminuendo, à chaque mesure, qui font penser à des
flots mugissant dans la nuit, ou au vent qui s’engouffre dans les
couloirs de la Chartreuse de Valldemossa, cependant que le final
rappelle une fugitive descente de spectres sur une esquisse de
chant grégorien.
15) Réb majeur. Sostenuto. C’est sans doute le
célèbre Prélude "à la goutte d’eau". La magnifique cantilène sur
une basse de la b qui se répète avec insistance, pour ensuite
passer à la modulation d’ut# mineur avec un sol# en harmonique.
C’est le secret des harmoniques chopinesques dans ce chant écrit
sur des accord tels que ré# sol# do# ré#, puis mi sol# ré# mi, et
do# sol# la# do# donnant une sonorité de cloche fêlée résonnant au
loin. C’est le passage du rêve-cauchemar au réveil sur la phrase
du premier thème qui revient en ré b Majeur mais tout en
demi-teinte, moitié, rêve, moitié réalité, égaré.
16) Sib mineur. Presto con fuoco. C’est la
tonalité de la Sonate funèbre, la seconde opus 35, la main gauche
du même rythme haletant , d’une très grande rigueur. On imagine
une chevauchée fantastique au milieu d’éclairs et de pluie
diluvienne. George Sand écrit dans Histoire de ma vie son enfance
avec un père féru de courses équestres, irresponsable, parcourant
avec sa fille, émerveillée et fascinée, les forêts ensorcelées de
La Mare au diable de son Berry natal. Chopin aurait sans doute été
impressionné par les récits de sa dame de cœur à Nohant.
17) Lab Majeur. Allegretto. Sur un rythme à 6/8,
ce prélude annonce déjà l’écriture de Rachmaninoff ou Scriabine
avec une grande mélodie sur de larges accords répétitifs. Le final
reprend pianissimo dans un halo sonore sur une basse de lab qui se
répète toutes les deux mesures comme les douze coups de minuit.
18) Fa mineur. Allegro molto. La révolte, la
fierté et l’indignation qui éclatent à propos du sort de la
Pologne, avec ces traits acrobatiques tourmentés aux contours
étranges. Mais tout est chant chez Chopin, comme des imprécations
de vocalises d’opéra. Allegro molto et non presto comme si le
lyrisme et le legato étaient omniprésents.
19) Mib Majeur. Vivace. C’est le régal des
pianistes. La technique à l’état pur – mouvements contraires,
écarts en triolets – mais quelle fine mélodie, égrenée par le
cinquième doigt. Une campanella.
20) Ut mineur. Largo. Une impressionnante marche
funèbre. Le cortège s’éloigne de fortissimo à pianissimo.
21) Sib Majeur. Cantabile. Sur une main gauche au
contrepoint très recherché, à deux voix par mouvements contraires,
très Bach et même brahmsienne, une mélodie toute simple,
mozartienne et pourtant bien propre à Chopin.
22) Sol mineur. Molto agitato. Encore un thème
très véhément à la main gauche accompagné à la main droite par des
accords plaintifs et haletants, qui deviennent de plus en plus
violents, comme des éclairs striés dans le ciel et des vagues
rugissantes.
23) Fa Majeur. Moderato. En contraste,
l’aquatique arabesque qu’Alfred Cortot décrit "naïades se baignant
au soleil". Déjà l’impressionnisme avec Renoir ... ?
24) Ré mineur. Allegro appassionato. C’est
l’apothéose. La perfection finale. Sur une basse obstinée allant
au pouce de la main gauche en intervalles de quinzièmes. C’est un
paysage de Van Gogh avec des traits striés et hachés. On est dans
la folie et la rage, dans un caractère de fatalité. Si Chopin
avait pu brandir un drapeau pour défendre sa patrie de la
Révolution russe ! Cette mélodie, c’est un véritable hymne. Chaque
phrase se termine par des gammes ou arpèges lancés à toute volée
et pour terminer une descente chromatique en tierces, qui fait
frémir. La mélodie atteint son apogée par crescendo stretto et
fortissimo et se termine par trois Ré dans le plus grave du
clavier. Si Chopin n’a pas écrit d’opéra, on peut dire que c’est
le plus beau bel canto dédié au piano.
25) Posthume, Lab Majeur. Presto con leggierezza.
Lumineux et aérien, s’éloignant sur des chants d’oiseaux.
Compositeur
français, né en 1948, Guy Sacre, n’appartient à aucune école et
ne suit aucune mode. Son attachement indéfectible à la tonalité
ne lui enlève ni sa liberté, ni sa désinvolture, aiguisé qu’il
est par son goût pour la bitonalité et les échelles modales. Sa
musique, d’une grande économie de temps et d’espace, joue sur le
paradoxe entre un mélodisme simple, apparenté à l’univers de la
comptine et une écriture harmonique élaborée, inventive,
éminemment personnelle. Les domaines de prédilection de cet
amoureux de la petite forme sont le piano et la mélodie. Une
vingtaine de partitions : du piano sans lourdeur et sans
préoccupation virtuose, exalté pour son timbre, ses vibrations,
son pouvoir de chanter.
On lui doit un remarquable ouvrage, La Musique de piano.
Œuvres pour
piano :
Neuf Contes moraux
Petits Exercices de la solitude
Soliloques : 7 pièces pour piano
Carnaval
Nouvelles Chansons enfantines
Les Préludes de
Guy Sacre s’enfilent les uns après les autres comme de
véritables petits poèmes. A part le treizième, très léger et
staccato et le dix-neuvième, "détaché, sans sècheresse", tous
présentent une écriture d’une très grande sobriété et plénitude.
Pas une phrase qui ne soit surmontée d’une ligne mélodique. Tout
doit chanter, même les successions de tierces et comme chez
Chopin, on perçoit une angoisse à travers les respirations
haletantes.
Il y a du Dutilleux dans le premier, du Ravel dans le deuxième
et le vingt-et-unième, méditatif et avec un paysage central "un
peu plus librement, hésitant " comme une improvisation. On
respire des parfums de thym et de romarin dans un chemin de
muletiers ensoleillé.
Du Messiaen dans le quinzième "vif et
lumineux" sur une basse de réb et des septièmes montantes ou
descendantes. La lumière y joue comme dans un vitrail.
Du Prokofiev dans le dix-neuvième, à l’humour grinçant de
marionnettes et le vingt-deuxième aux mesures alternées de 3/4,
3/8, 2/4.
Du Milhaud dans le vingt-troisième.
Du Stravinsky dans
le vingt-quatrième Berceuse de L’Oiseau de feu ?
Chantal Andranian
24 Préludes
(1983) qui racontent comme on s’y attendait – mais avec quelle
intériorité ! - ce que les doigts savent dire lorsqu’ils passent
d’une tonalité à une autre. L’art de Guy Sacre ne sortira que
plus fort d’une cohérence qui le relie à ce que la France a
donné de plus organique dans sa tension permanente vers
l’absence d’emphase et son projet séculaire de dire l’essentiel
en peu de mots. Musique française donc ? Encore un écueil, si
tant est qu’il en soit un vraiment un, dont la musique de Guy
Sacre sort vainqueur.
Nicolas Bacri
Musique
raffinée, totalement inclassable, écrite d’un trait aigu et
sensible, et nous touchant au cœur d’une flèche précise.
Pierre Petit
Sergueï Bortkiewicz (1877-1952)
Préludes Opus 33
Sergueï Bortkiewicz, dont c'est le 150ème anniversaire de la
naissance né à Kharkov (Ukraine) en Février 1877 dans une famille
de la noblesse polonaise, étudie la musique auprès d'Anatoli
Liadov au Conservatoire Impérial de Saint- Pétersbourg puis au
Conservatoire de Leipzig, avant de se produire comme un brillant
pianiste à travers toute l'Europe, jusqu'à la première Guerre
mondiale. Toute la suite de sa vie d'exil, à Berlin puis à Vienne,
sera marquée par la pauvreté.
L'influence de Chopin et de
Rachmaninov apparaît dans toute son oeuvre, mais aussi, pour ses
Préludes notamment, celle de Scriabine, Blumenfeld, Medtner. Elle
séduit par la beauté de la mélodie, faite de mélancolie et de
tristesse, et l'écriture brillante et virtuose. Il fut avec Anton
Rubinstein, Scriabine, Glazounov et Rachmaninoff, disciple du
grand Siloti à Moscou, lui-même élève favori de Liszt et Arenski.
Mais il est Polonais.
1) N°7 en Fa# Majeur. C’est un nocturne sur un rythme de
barcarolle. La main gauche ondule en triolets pendant que la main
droite chante dans un sentiment de poésie et d’intériorité. Un
passage central Un poco piu mosso à 9/8 en Ré Majeur, la main
gauche en doubles-croches accompagnant une phrase piano dolce au
début puis allant en s’amplifiant jusqu’à la reprise du thème
initial mais mezzo forte con anima cette fois et accompagné de
larges accords aux deux mains. Enfin la mélodie s’apaise sur des
accords éthérés et lointains.
2) N°8 en Réb Majeur. Le plan est le même que le précédent mais le
passage central est d'un caractère plus fiévreux et angoissé. La
reprise du thème sera écrite pour le pouce de la main gauche que
ponctuent les triolets avec de profondes basses, accompagné par la
main droite qui reprendra le chant toujours en accords, d’un
lyrisme allant jusqu’au paroxysme. Enfin un épilogue pianissimo
avec le motif du début sur trois accords ppp.
3) N°5 en La Majeur. On imagine un chant montagnard d’une très
grande pureté, aérien et transparent, d’une écriture à 4 voix,
comme un quatuor. 23 mesures à peine suffisent pour créer un
climat de sérénité.
Chantal
Andranian
Tout en suivant l'enseignement de Pierre Barbizet à Marseille,
Chantal Andranian se passionne pour la littérature musicale
déchiffrant dès qu'elle le peut les partitions de la
bibliothèque du conservatoire.
Lauréate du Conservatoire
National Supérieur de Musique de Paris, de l'Ecole Normale de
Musique et de la Fondation Cziffra, Chantal Adranian s'est aussi
formée auprès de Lucette Descaves, Jean Micault pour le piano,
Pierre et Nelly Pasquier, Geneviève Joy pour la musique de
chambre.
Chantal Andranian a choisi d'orienter la majeure
partie de son
activité sur le duo de piano (piano à quatre
mains et deux
pianos) avec sa soeur Gisèle et a pu ainsi
explorer, au fil de
multiples concerts, la majeure partie du répertoire pour cette
formation, et notamment les musiques française et russe.
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