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Gérard Poulet, violon
Gérard Poulet, fils du violoniste et chef
d’orchestre Gaston Poulet, a un passé d’enfant prodige. Entré à 11
ans au Conservatoire de Paris, il en sort l’année suivante avec un
Premier Prix à l’unanimité. À 18 ans, il remporte le Premier Prix
du Concours Paganini de Gênes.
Il bénéficie de l’enseignement des plus prestigieux Maîtres du
violon comme Francescatti, Menuhin, Milstein et surtout Henryk
Szeryng, son “père spirituel”. Commence alors une carrière
internationale qui l’amène à se produire sur les plus grandes
scènes des quatre continents.
Après avoir enseigné au CNSM de Paris, il dispense aujourd’hui son
enseignement en master-classes dans le monde entier, notamment au
Japon. Pédagogue exigeant et ambitieux pour ses élèves, comme le
prouvent les remarquables résultats de ceux-ci aux grands
Concours, Gérard Poulet est, sans conteste, une figure
emblématique du Violon Français.
Noël Lee, piano
Pianiste et compositeur d’origine américaine, Noël
Lee réside à Paris depuis 1948. Ses compositions, embrassant tous
les genres -de l’oratorio à la musique de chambre, en passant par
le concerto, le ballet, la mélodie, et la musique de piano, de
clavecin, d’orgue- lui ont valu de nombreuses distinctions. Il a
reçu notamment le prix de l’Académie Américaine des Arts et des
Lettres pour l’ensemble de son œuvre, puis deux prix de la
Fondation de France : Concours Arthur Honegger et Fondation
Charles Oulmont. Claude Rostand a pu écrire : “…des ouvrages dont
la qualité fait regretter que l’activité pianistique du musicien
soit au détriment de son activité créatrice.”
Sa carrière pianistique, poursuivie depuis les années 40, l’a mené
sur tous les continents. Parmi les 200 disques compacts ou
microsillons qu’il a enregistrés -de piano, de musique de chambre,
de musique vocale, dont quatorze couronnés de prix- figurent la
première vraie intégrale des Sonates de Schubert (comprenant les
œuvres inachevées), toute l’œuvre pour piano de Debussy et de
Ravel, vingt-cinq disques consacrés à la musique américaine et à
celle du XXème siècle où figurent Charles Ives, Aaron Copland,
Igor Stravinsky, Béla Bartok, autant enregistrés à quatre mains ou
à deux pianos avec Charles Ivaldi, ainsi que de nombreux disques
piano-violon de Schubert et de musique française avec Gérard
Poulet. Ses enregistrements avec Bernard Kruysen ainsi qu’avec
Anne-Marie Rodde sont devenus des références pour le répertoire de
mélodie.
Nadia Boulanger a écrit a son sujet : “Noël Lee est un des plus
beaux musiciens que j’aie rencontrés. Compositeur d’une réelle
personnalité, il a la délicatesse et la force, la perception aiguë
des ressources de son instrument, le sens de la hiérarchie des
valeurs et une compréhension totale des œuvres.”
Au printemps 1998, Noël Lee a été nommé au grade de Commandeur de
l’Ordre des Arts et Lettres par le Ministère des Affaires
Culturelles ; puis il a reçu le Grand Prix de la Musique de la
Ville de Paris en 1999 pour l’ensemble de son activité. En 2002
son édition de huit œuvres de jeunesse de Claude Debussy pour
piano à quatre mains, dont cinq publiées pour la première fois,
est sortie chez Durand. En 2004 la Grande Médaille de la Ville de
Paris lui a été décernée.
Diversité des paysages musicaux nord-américains…
Très tôt dans la floraison post-romantique
d’obédience germanique se développant aux États-Unis, émerge une
figure féminine, Amy Beach (1867-1944). La côte Nord-Est est le
théâtre d’une forte influence brahmsienne : à cette époque, le
Boston Symphony Orchestra (qui deviendra le plus français des
orchestres américains après la Guerre de 14-18) est le plus
allemand qui soit. Amy Beach, brillante pianiste et compositrice
née dans le New Hampshire puis fixée à Boston, n’échappe pas à ce
courant sans pour autant brider sa personnalité expressive, comme
en témoigne sa vaste Sonate pour violon et piano en la mineur op.
34, d’ailleurs créée à Boston l’année de la mort de Brahms (1897).
La compositrice au piano accompagnait le violoniste Franz Kneisel,
premier violon solo du Boston Symphony Orchestra et quartettiste
renommé. L’œuvre fut redonnée à Berlin dès 1899 (où Amy Beach
s’était fait un nom comme virtuose), et le 24 avril 1900, deux
artistes prestigieux la jouaient Salle Pleyel à Paris : Eugène
Ysaÿe et Raoul Pugno.
Animée d’un ample souffle dramatique, la Sonate en la mineur
déploie à travers ses quatre mouvements un généreux sens
mélodique, une écriture pianistique passionnée. Les formes
(mouvements extrêmes en forme-sonate, avec une charmante fugue
incluse dans le développement du final, deuxième mouvement en
Scherzo, poignant lied chromatique du troisième mouvement) se
déroulent d’une seule coulée grâce à l’esprit déductif qui préside
à l’élaboration du matériau thématique : motif secondaire dérivé
du thème initial, enchaînements imperceptibles par l’esprit de la
variation, toujours est-il qu’à l’intérieur de chaque mouvement,
l’auditeur a l’impression d’entendre un immense chant continu du
violon, porté par la houle du piano, … ce qui signifie qu’une
telle plénitude d’écriture ne laisse guère de répit aux
interprètes !
L’émancipation musicale américaine au XXème siècle emprunta divers
chemins, le plus excentrique étant sans nul doute celui de Charles
Ives (Danbury, Connecticut, 1874 – New York 1954). Il a fait de
l’hétérogénéité –plus exactement : de l’hétérophonie – un principe
de composition, et la Quatrième Sonate pour violon et piano (1916)
n’échappe pas à la règle. Elle évoque le “Children’s Day at the
Camp Meeting”, autrement dit la journée des enfants lors des camps
d’été organisés par les églises protestantes des régions rurales
du Connecticut, d’où l’entremêlement entre thèmes de marches et
hymnes religieuses que l’on y entend (sur des motifs authentiques,
référencés par le compositeur). Charles Ives a publié un long
programme (inspiré de ses souvenirs d’enfance) du déroulement de
cette brève sonate : au cours du premier mouvement (mais le
premier et le dernier mouvements ont parfois été permutés), les
garçons chantent leur marche, certains y allant de leurs fausses
notes, tandis que le jeune organiste répète sa sortie sur un
répertoire puisé aux sources de l’écriture la plus classique ; le
rythme de la marche s’accélère et entre en collision avec les
résolutions harmoniques soigneusement alignées par l’organiste,
les deux tonalités ayant du mal à coïncider ! Le deuxième
mouvement est d’inspiration bucolique, et Ives trouve des climats
très personnels pour faire partager son amour de la nature durant
un moment de repos sous les arbres protégeant de la chaleur
estivale ; l’usage de thèmes religieux traditionnels ne se dément
pourtant pas, non plus que l’activité des gamins soudain excités
par les chants : tout à coup, ils se mettent à jeter des cailloux
sur les rochers affleurant ça et là dans le cours d’eau ; ce
passage, sur-titré en une sorte de malicieux espéranto Allegro
conslugarocko (faster and with action), fait jaillir des
difficultés escarpées sous les doigts du pianiste, interrompant
temporairement sa quiétude contemplative ! Dans le troisième
mouvement, les garçons ont repris leur marche, mais cette fois ils
sont rejoints par les hommes âgés chantant un air très populaire :
“Shall we gather at the River”. Et la musique nous laisse sur une
vision inachevée, confirmant la désinvolture de Ives en matière de
logique formelle…
Aaron Copland (New York, 1900-1990) trouva divers chemins pour
favoriser l’essor d’une “américanité” en musique : recours au
folklore (comme dans Billy the Kid, Rodeo, Appalachian Spring),
intégration du jazz (comme dans le Concerto pour piano), synthèse
originale des innovations venues du continent européen et
repensées d’une manière idiosyncratique (tel le dodécaphonisme à
travers le Quatuor avec piano, la Fantaisie pour piano,
Connotations et Inscape, deux œuvres majeures pour orchestre).
Même lorsqu’aucun modèle national n’est revendiqué, une flaveur
inimitable s’infiltre dans son expression musicale, et c’est bien
ce que l’on ressent à l’écoute de la Sonate pour violon et piano
composée pendant la guerre (1943), un temps où une certaine
inspiration patriotique s’imposait. Dans ses Mémoires, Aaron
Copland raconte : “Pour diverses raisons, à cette époque je
n’avais guère le désir de composer une œuvre dissonante, ou
virtuose, ou incorporant du matériel folklorique. Néanmoins,
certaines qualités des thèmes folkloriques américains étaient
devenues partie intégrante de mon style naturel de composition, et
on en trouve des échos dans la Sonate. […] Je venais juste de
l’achever quand j’appris qu’un ami était mort en service actif
dans le Pacifique Sud. La Sonate pour violon et piano est dédiée
au Lieutenant Larry H. Dunham (1910-1943)”. Même si cette
disparition n’entre pour rien dans l’esprit de la composition, le
climat général du temps laisse son empreinte ; Noël Lee, qui
compte parmi les fidèles interprètes en lesquels Copland avait
toute confiance, raconte : “Quand j’ai joué la Sonate devant le
compositeur, il m’a dit, à propos du deuxième mouvement : “C’est
une sorte de dirge” (chant funèbre). Le danger consisterait à se
laisser piéger par la très grande simplicité de langage de cette
page, alors qu’il faut en faire passer l’émotion dans un esprit de
dépouillement, par un jeu très nu. Par ailleurs, à travers le
langage néo-classique, se fait entendre une énergie rythmique
typiquement américaine, avec un premier mouvement hérissé de
piques, et un troisième mouvement plein d’exubérance.” La Sonate
est cyclique, avec des thèmes très personnels ; dans le premier
mouvement, des angulosités harmoniques décalent les racines
tonales, les accents rythmiques soulignant ce décalage ; ces mêmes
percées dissonantes contredisent les fugitives allusions de type
folk-tune qui semblent jaillir au détour du bondissant final (où
l’on note également une flambée stravinskyenne) ; au cours du
mouvement lent, les deux instruments semblent évoluer à distance
l’un de l’autre, comme absorbés dans la pureté de leur méditation,
sans qu’aucun ne s’autorise de digression.
À une certaine esthétique de l’austérité, cultivée par Copland
dans ses œuvres les plus audacieuses, pourrait se rattacher
Dialogues (1958) de Noël Lee, en raison d’une économie de moyens
qui atteint à l’essentialité du trait à la pointe sèche… mais sans
la sécheresse du discours qui fut parfois de mode durant ces
années 50. Le compositeur nous explique qu’il s’agit d’une série
de huit variations reliées entre elles, construites sur un motif
de quatre notes centré sur la note Si initialement énoncée par le
violon. Chaque variation suivante commence avec les mêmes hauteurs
de notes, jusqu’à la dernière variation qui, elle, présente les
quatre notes en inversion. Un auditeur curieux a établi que le
motif apparaissait 353 fois – horizontalement et verticalement – à
travers la pièce, statistique que Noël Lee n’avait nullement songé
à entreprendre ! Ceci dit, la part mélodique du dialogue n’est en
rien minimisée, malgré l’extrême concentration dans la subtilité
qui prévaut au cours des premières variations ; puis les deux
partenaires s’extériorisent jusqu’à atteindre une certaine
véhémence dans la confrontation avant d’en revenir au
dépouillement pour amener une fin assagie. L’œuvre fut écrite pour
le violoniste d’origine russe (éduqué en France, où il fut élève
d’Ivan Galamian, puis naturalisé américain) Paul Makanowitzky.
C’est à la demande d’un autre violoniste, norvégien celui-là, Ole
Böhn, que Noël Lee composa en 1998 Obliques pour violon seul. Les
deux volets extrêmes -Panneau, Cadran- développent des variations
rythmiques à partir d’un thème provenant d’une œuvre concertante
antérieure ; on reconnaîtra dans le premier mouvement un motif que
le compositeur réutilisera dans une pièce pour deux pianos (Gigue
en quinconce) : il aime extraire d’une œuvre un élément et lui
donner une vie tout autre sous un nouvel éclairage. “Le mouvement
central, Vers libres, doit être joué avec un certain lyrisme,
comme une improvisation contrôlée”, ajoute Noël Lee. Là encore,
aucun effet superfétatoire, mais une grande sobriété dans la
continuité du discours unifiant les trois volets.
Sylviane Falcinelli
Texte original du passage cité des
Mémoires de Copland :
“For whatever reasons, at that time I had little desire to
compose a dissonant or virtuosistic work, or one that
incorporated folk materials. Nevertheless, certain qualities of
the American folk tune had become part of my natural style of
composing, and they are echoed in the Sonata. […] I had just
completed it when I heard that a friend had died while on active
duty in the South Pacific. The Sonata for Violin and Piano is
dedicated to Lt. Larry H. Dunham (1910-1943).”
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